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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Mémoire sans trêve
Article mis en ligne le 1er mai 2020

par F.G.

À Damien, Élise, Fred, Iris, Jeanne,
Marion, Morgane, Muriel… et quelques autres.


Il faisait beau sur Paris ce jour-là… C’était il y a un an. La manif s’annonçait prometteuse. Nous savions, cela dit, que l’épreuve serait difficile, que la milice de Lallement-Castaner-Macron ne ferait pas dans la dentelle. Depuis des mois on l’expérimentait chaque semaine, de samedi en samedi, cette milice suréquipée, provocante, robocopisée, sûre d’être couverte par sa hiérarchie. Nous savions qu’elle ferait tout et plus pour nous priver de la joie d’être ensemble, de mêler nos singularités, de dépasser nos divergences pour tisser nos convergences. Nous savions tout ça. Qu’il nous faudrait résister à l’exercice de sa terreur, prendre soin de nous, ruser tant que possible, conjuguer nos amitiés.

À peine rassemblés à Montparnasse, pas encore en mouvement, les premières GLI-F4 nous crevèrent les tympans. La rage était bien là. La leur, celle des nervis, cette chienlit casquée de son arrogance crasse, indistinctement terrifiante, violente jusqu’à l’obscène. Ça commença tout de suite et ça ne cessa plus. Un cas d’école d’agression majuscule pensée et exécutée pour terroriser, pour décourager, pour disperser, dès son départ, une manifestation déclarée. C’est ce jour que les plus nombreux d’entre nous ont compris que cette police était détestable, mais aussi irrécupérable.

Dans cette nasse géante, Paris prit des airs de folie. La peur, palpable, muta en colère, en exaspération. Le jaune se portait bien, ce jour-là. Il affichait sa détermination. Avec ou sans gilet, nous étions là « pour l’honneur des travailleurs » si mal représentés par leurs syndicats, toujours en retard d’une offensive. Aux premiers fracas, c’est-à-dire tout de suite, Philippe Martinez s’était fait exfiltrer par son service d’ordre. Misère de la bureaucratie. Ce qui fit sens, ce jour-là, ce fut le débordement de masse d’un cortège de tête sans tête, combatif jusqu’à n’en plus pouvoir, joyeux jusqu’à en redemander.

À pied, à cheval, à moto, la racaille policière masquée et casquée savait ses exactions légitimées d’avance. Elle lâcha toue sa maléfique énergie à tabasser qui elle voulait, à boucler, entre place d’Italie et Austerlitz, le maximum d’issues de dégagement possible. Ce fut là qu’eut lieu la nasse de Saint-Marcel. J’y savais quelques amis pris au piège. Arc-boutés sur leur terreur, noyés sous les gaz, éprouvant leur courage, ils y vécurent un authentique cauchemar. De l’extérieur, la zone ressemblait à un laboratoire d’expérimentation policière où tous les coups étaient permis contre une foule mise de facto hors d’état de nuire à la police. Un jeu de foire. Ce qu’on ressentait alors, hormis notre impuissance, c’était le sentiment d’une totale disproportion entre le risque réel que nous représentions et la force brute surarmée qu’on nous opposait. Il fallait qu’on leur fasse peur aux représentants de la veule Macronie, vraiment peur, pour qu’ils procèdent de la sorte, si inconsidérément, si sauvagement ! Et cette constatation nous mettait en joie, cette joie infinie qui naît du sentiment de faire histoire en faisant cause commune. On était encore là « pour un monde meilleur »…

Boulevard de l’Hôpital, juste avant la nasse de Saint-Marcel, il régnait comme un étrange calme. On était dans un no man’s land abandonné aux manifestants de l’arrière du cortège de tête sans tête, mais sous contrôle étroit de la flicaille prête à sur-réagir au premier ordre de sa chefferie. Police partout, justice nulle part ! Le sol était jonché de capsules et de palets de lacrymogènes, de GLI-F4 et de LBD-40. Le soleil se reflétait sur l’asphalte encore humide de l’arrosage du canon à eau. Plus chaud, plus chaud, plus chaud qu’les lacrymos ! Entre deux arbres, vision inoubliable, une Gilet jaune avait installé un hamac de fortune. Chaud, chaud, chaud, le printemps sera chaud !

Par distraction ou manque de réserves en casqués, un passage vers le boulevard Saint-Marcel restait ouvert rue Titien. De même, des gardiens d’immeubles à deux entrées ouvrirent les grilles à des copains, dont les miens, pour qu’ils s’échappent de la nasse de Saint-Marcel en s’égayant vers la rue des Wallons. Wallonie, on t’aime ! Boulevard Saint-Marcel, la queue de cortège des syndicats tentait en vain de rejoindre la place d’Italie. Merguez, sonos de merde et Kronenbourg à gogo ! Retour aux fondamentaux, en somme. Le cortège de tête sans tête nous manquait déjà. Bloquée, nassée elle-même de partout, la manif tradi dut vite rebrousser chemin vers les Gobelins. En désordre, ce qui finalement la rajeunissait.

On apprit alors que des groupes de Gilets jaunes et de jeunes black-bloqués avaient quitté le cortège pour s’égayer dans Paris. La soirée se termina place de la Contrescarpe qui, entre quelques rodéos, fut rebaptisée « Alexandre Benalla » en souvenir du 1er-Mai 2018.

Car l’histoire, comme le Phénix, renaît toujours de ses cendres.

Qu’on se le dise : on reviendra dès que possible, et plus forts que jamais !

Pour l’honneur des travailleurs et pour un monde meilleur !

La bise à toutes et tous.

FREDDY
1er mai (confiné) 2020

PS : Gaspard Glanz, dont il faut saluer le travail et la constance, a excellemment filmé cette manifestation, dont la vidéo est disponible sur Taranis.News, son site. À voir ici pour tous ceux qui l’auraient manquée ou qui voudraient tout simplement, en ce quarante sixième jour de confinement, se ressourcer à son ambiance.

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