« Le mensonge élogieux est aussi fallacieux que le mensonge dénigrant. » Felipe Orero
Si nous avons souhaité faire entendre, en seconde partie de ce numéro, deux voix libertaires espagnoles dont les échos portent encore, c’est que cette histoire sans fin exige, pour avoir quelque chance d’être comprise, de se reporter éternellement aux sources premières, celles qui se puisent désormais dans la malle du temps.
Ce n’est pas par hasard, on s’en doute, que notre choix s’est porté sur Felipe Orero – pseudonyme de José Martínez (1921-1986), maître d’œuvre des Éditions Ruedo ibérico de 1962 à 1982 [1] – et sur José Peirats (1908-1989), auteur de La CNT en la revolución española, ouvrage de référence obligée. Ces deux auteurs se situent, en effet, au cœur de notre démarche critique.
Grands connaisseurs de l’histoire du mouvement libertaire espagnol et de son imaginaire, l’un et l’autre – que bien des choses différenciaient, par ailleurs – en perçurent également, chacun à sa manière, les faiblesses, les pesanteurs et les rigidités, ce qui les voua aux gémonies de l’orthodoxie. En ces temps, sectaires il est vrai, l’acquiescement – ou non – aux Tables de la Loi d’une résiduelle CNT en exil fixait la frontière entre zélotes et hérétiques.
Inédit en français, le texte « Mythe et réalités de la FAI » [2] est extrait de l’essai de Felipe Orero CNT : ser o no ser paru, en 1979, dans un numéro spécial de la revue Cuadernos de Ruedo ibérico [3]. Consacrée à la crise de la CNT – reconstruite en 1976 et proche, alors, de son effondrement –, cette étude, documentée et incisive, demeure ce que cette époque illusoire a probablement produit de mieux. F. Orero s’y emploie, en effet, à dénoncer « les lieux communs idéologiques et historiques » qui alimentèrent la guerre de tendances au sein de la CNT et participaient de l’oblitération, de la falsification ou de l’utilisation frauduleuse de son histoire pour la mettre au service d’une cause partisane. C’est dans cette perspective critique que se situe cette évocation d’une FAI, dont le mythique fantôme enfiévrait alors quelques jeunes esprits militants. F. Orero y analyse avec une particulière sagacité ce que fut – et ne fut pas – ce « spécifisme » anarchiste, dont la complexe réalité favorisa les interprétations les plus contradictoires.
L’entretien avec José Peirats, également inédit en français, dont on lira de larges extraits dans ce numéro, nous semble, par sa teneur et la riche thématique qu’il aborde, en parfaite adéquation avec notre propos. Réalisé par Paolo Gobetti, le 19 juin 1976, dans le cadre du projet « Espagne 36 : vidéo et mémoire », pour le compte de l’Archivio Nazionale Cinematografico delle Resistenza (ANCR) turinois, il permet à J. Peirats d’égrener ses souvenirs sur une avant-guerre sociale intensément vécue à Barcelone –où il exerça tantôt le métier de briquetier, tantôt celui de journaliste ouvrier – et sur une révolution qui mit en branle de fantastiques énergies créatrices avant de sombrer, mouvement libertaire compris, dans une logique de guerre, dont il se fit l’inlassable critique.
Ces échos d’hier méritaient, nous semble-t-il, de percer notre assourdissant présent.