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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Scories et décombres [2]
À contretemps, n° 43, juillet 2012
Article mis en ligne le 17 juin 2014
dernière modification le 26 décembre 2023

par F.G.

■ Michel ONFRAY
L’Ordre libertaire
La vie philosophique d’Albert Camus

Paris, Flammarion, 2012, 596 p.

Plus Narcisse que Sisyphe, le très satisfait Michel Onfray pousse chaque année son best-seller philosophique jusqu’aux devantures du Spectacle. Avec l’assurance que, quoi qu’en dise en bien ou en mal la critique, sa prose se vendra. Car l’agitateur de poncifs sait y faire en marketing depuis qu’il a constitué à lui tout seul sa petite entreprise qui, de l’Université populaire de Caen à France Culture, en passant par Flammarion et autres hauts lieux de la pensée contemporaine, recycle, éternellement et sur divers supports, ses seules productions. Le reste est affaire de pif et le philosophe bas-normand n’en manque pas. Ainsi, on a vu l’athéologue Onfray coaliser contre lui tous les glapisseurs de Dieu, le nietzschéen Onfray se mettre à dos la parisienne caste freudienne et le camusien Onfray faire surgir des poubelles de l’histoire les derniers défenseurs cacochymes du pauvre Sartre. Chaque coup étant gagnant puisque, dans un même mouvement, ceux qui le détestent et ceux qui l’adorent achètent ses livres, Onfray a au moins prouvé que la philosophie peut mener à tout, et d’abord à la gloire, non pas dans le domaine des idées – les siennes sont aussi changeantes et vagues que ses inclinaisons électorales –, mais dans celui du business médiatique.

Camus, donc… Contée par Onfray, la « vie philosophique » de l’auteur de L’Homme révolté prend surtout l’allure d’une grotesque entreprise d’auto-célébration. Car, plus que la trajectoire philosophique de Camus, ce qui compte, pour ce biographe approximatif, c’est d’y puiser autant de raisons de s’auto-portraiturer en héritier « post-anarchiste » du grand homme. Pour ce faire, tout est bon. Camus aimait la vie ? Onfray s’étale en considérations multiples, variées et creuses sur l’hédonisme de bazar qui lui sert de morale. Camus se serait, au sortir de l’adolescence, intéressé à Nietzsche ? Onfray tartine à n’en plus finir sur ce nietzschéisme de « gauche-éthique » qui a ses faveurs. Camus fut un libertaire singulier ? Onfray, qui s’imagine du même tonneau, chevauche Rossinante pour libérer la Claire Tour de ses gardiens du temple. Et ainsi de suite, six cents pages durant, avec tout ce qu’il faut d’aplomb pour s’adjuger les mérites du disparu, quitte à lui faire dire n’importe quoi.

Tout cela serait purement risible si le Narcisse d’Argentan, dont on connaît la prétention à tout savoir sur tout, ne s’était mis en tête de délivrer à ses pauvres lecteurs quelques puissantes vérités dont il serait le découvreur. Ainsi, s’appliquant à réévaluer le Camus « anarcho-syndicaliste » contre le Camus humaniste et social-démocrate que les sartriens léguèrent à la postérité, Sa Suffisance Onfray s’assoit allègrement sur tout ce qui, pour avoir été écrit avant lui, pourrait porter ombrage à la supposée originalité de son approche. Et, pis encore, quand il puise à ce fonds – l’historiographie anarchiste de Camus pour être précis –, le néo-penseur, qui se garde bien de citer ses sources, n’en retient que l’écume. Ce qu’a abondamment prouvé, par ailleurs, le méticuleux pointage de ses oublis, insuffisances, mensonges et perfidies opéré par Lou Marin [1], auteur d’une indispensable anthologie sur Camus et les libertaires [2].

Une remarque pour finir… Il y a de quoi s’étonner que, chez certains anarchistes d’aujourd’hui, le faussaire Onfray, dont le seul acte militant connu est d’être abonné au Monde libertaire, continue de bénéficier d’une évidente bienveillance. Sauf à penser que, en cette basse époque, le dernier cuistre venu peut faire illusion jusque et y compris sur les rivages d’un anarchisme en quête de reconnaissance médiatique. On serait très loin alors du lien de fraternité agissante et exigeante qui unit Camus aux libertaires de son temps.

Albert GADJO