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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Une association pour la mémoire rebelle
À contretemps », n° 16, avril 2004
Article mis en ligne le 11 février 2005
dernière modification le 11 novembre 2014

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« J’ai toujours pensé qu’on pouvait asseoir sa filiation non sur l’idée de patrie, de terre, de lieu, mais sur l’histoire des aspirations et des idéaux, des luttes et des attentes de ceux qui nous précédèrent et qui, en quelque endroit du globe, révoltés contre leurs conditions d’existence et passionnés de liberté, consolidèrent le sol que nous arpentons. Ma patrie n’est pas dans l’espace, mais dans le temps. » (Eduardo Colombo)


Dans ses thèses Sur le concept d’histoire, Walter Benjamin plaidait pour la force critique et subversive de la mémoire. Elle va, disait-il, « à rebrousse-poil » de l’histoire, sèche et méthodique, rationnelle et normalisatrice.

Quand du récit des révoltes et des révolutions il s’agit, l’histoire peut résister à la machine d’oubli, mais rarement restituer la part d’irruption libertaire qui présida à la levée d’une barricade. Elle peut retenir les noms des protagonistes, mais non le souffle qui les porta. Elle raconte, mais proprement et dans l’ordre. C’est son rôle. La mémoire, elle, en constitue le matériau, fragile et chaotique, nostalgique et contradictoire, anecdotique et parcellaire, irremplaçable. Elle ne dit pas la Vérité, mais restitue le rêve et la nostalgie, le bonheur et sa chute. « La mémoire, écrit Claire Auzias, est notre point de départ et notre priorité. »

On le sait : quand un témoin disparaît, c’est un rideau qui tombe sur la mémoire rebelle. Non transmise en son temps, elle devient non advenue, absente en tout cas, et définitivement niée. Il reste cet inutile regret de l’occasion perdue qui pointe à l’heure des enterrements... Trop tard. C’est sûrement pour avoir éprouvé, à maintes reprises, ce sentiment coupable que nous fûmes quelques-uns à nous occuper de cette mémoire, et depuis longtemps, et c’est pour la même raison que nous voulons poursuivre. D’où cette initiative de créer une association – La Mémoire rebelle –, dont l’objet sera la constitution d’un fonds d’archives vidéographiques et sonores consacré à l’histoire orale des expressions anti-autoritaires du mouvement ouvrier. Elle s’occupera, d’une part, d’archiver et d’inventorier le matériau déjà existant sur supports audio et vidéo et, de l’autre, de poursuivre la quête auprès d’autres témoins, car la mémoire, comme l’espoir de changer la vie, ne s’arrête jamais.

Au carrefour des révoltes, chaque génération s’imagine qu’un monde est à refaire. Pour avancer, elle s’alimente du souvenir des hommes et des femmes qui l’ont précédée dans l’utopie et l’insubordination. Ce faisant, elle cherche, non pas à revivre ce qui a été, mais à se situer, à sa place et dans son temps, dans le cortège séculaire de la bonne vieille cause de la rébellion contre l’ordre de la marchandise et le pouvoir. L’histoire des révoltes et des révolutions, c’est d’abord l’éternel recommencement du rêve émancipateur. Ceux et celles qui y ont participé, sont, à chaque époque, les témoins de cette permanence. À ce titre, ils ont à raconter.

Si, d’aventure, vous avez sur vos étagères, en vos greniers ou dans vos malles quelques récits enregistrés de l’ancien temps, quelques souvenirs racontés de manifs ou de grèves, quelques éclats de subversion orale, nous sommes bien sûr preneurs. Que rien ne se perde désormais, car, sur ce terrain-là, rien ne se retrouve ! Et la mémoire – rebelle – appartient à ceux qui la cultivent, non par nostalgie, mais pour qu’elle serve. Un jour. Qui sait ? Les temps sont aussi maudits parce qu’ils sont amnésiques.

La Mémoire rebelle
Association loi 1901