A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Les IWW et les travailleurs chinois
À contretemps, n° 45, mars 2013
Article mis en ligne le 13 juillet 2014
dernière modification le 8 février 2015

par F.G.

1.– Bien que, de nos jours, nous nous répandions en propos creux sur le « mouvement ouvrier », quelle utilité cela a-t-il en définitive pour les travailleurs chinois ? Nous claironnons que « le travail est sacré », mais les travailleurs en ont-ils jamais été heureux pour autant ? Voilà quelques années que les mots « Fête du 1er mai » sont devenus familiers aux oreilles des Chinois, mais bien que certains journaux en fassent l’apologie combien de travailleurs en définitive comprennent de quoi il s’agit ? Si l’on continue ainsi quels effets peut-on en attendre ? Nous qui prônons le « caractère sacré du travail » ne sommes-nous pas encore parvenus à l’éveil ? Persuadé que les IWW américains sont utiles aux travailleurs chinois, je voudrais les présenter ci-dessous.


2.– IWW est l’abréviation de The Industrial Workers of the World. Ce qui en chinois veut dire « Alliance des ouvriers industriels du monde [1] ». C’est à l’heure actuelle le groupement ouvrier le plus puissant aux États-Unis. Presque toutes les grèves générales qui se sont produites ces dernières années aux États-Unis ont un lien avec elle. Son influence s’étend à presque tout le pays. Le gouvernement et les capitalistes la considèrent comme une épine dans leur pied et voudraient la faire disparaître, mais la majorité des gens lui accordent leur confiance de sorte que le gouvernement ne peut rien contre elle. En un mot, j’ose affirmer que la future révolution sociale aux États-Unis commencera nécessairement par elle.

Elle est née en 1905. À l’automne de cette année-là, six leaders passionnés du mouvement ouvrier [2] se sont retrouvés pour discuter de la situation des ouvriers aux États-Unis, et ils ont décidé de convoquer une assemblée plus large l’année suivante. L’année suivante, donc, ils ont réuni une trentaine de leaders du mouvement ouvrier pour une conférence secrète, et en juin de cette année-là ils ont tenu un congrès à Chicago. Quatre-vingt-six personnes étaient présentes à ce congrès, représentant trente-quatre groupements ouvriers (soit plusieurs dizaines de milliers d’adhérents). Au bout de deux semaines de débats, ils ont progressivement mis sur pied une organisation qui n’est autre que les célèbres IWW.


3.– La doctrine des IWW est très proche du syndicalisme français, c’est pourquoi on la considère parfois comme le « syndicalisme américain ». Tout d’abord, les IWW prônent la destruction du capitalisme, considérant qu’autrement les travailleurs ne pourront pas être véritablement heureux. Et comme « l’État », « le gouvernement », « la loi » protègent tous le capitalisme, ils préconisent également d’abattre ces monstres.

Ils considèrent qu’entre le capitalisme et la classe ouvrière il n’y a pas d’accord possible. Il faut nécessairement attendre que les travailleurs aient repris possession de la terre et des outils de production, et il ne faut pas s’arrêter avant l’abolition du « système du salariat » (Les Buts des IWW [3], § 2). Ils considèrent que pour supprimer le capitalisme il faut organiser l’armée des producteurs non seulement pour lutter contre les capitalistes mais aussi pour prendre en mains la production quand le capitalisme aura été renversé (ibid., dernier §). Ils préconisent également de « relier la totalité des travailleurs de toutes les branches d’industrie pour harmoniser les points de vue et organiser une association des travailleurs industriels de telle façon qu’en cas de grève générale ou de lock-out dans une industrie quelconque toutes les industries les soutiennent unanimement et considèrent les intérêts d’une partie d’entre elles comme les intérêts de la totalité » (ibid., § 4).

La méthode qu’ils utilisent à l’encontre des capitalistes est la « grève solidaire générale », c’est leur arme la plus efficace. Si celle-ci ne peut aboutir, on la remplace par la « grève du zèle ».

Tels sont les principes de cette organisation, et en même temps ses caractéristiques. On voit par là que c’est la meilleure organisation ouvrière. Toutefois, elle présente un défaut à mes yeux : comme elle est organisée sur un mode centralisé, le Conseil de l’organisme exécutif est très puissant et il peut à sa guise ordonner à telle ou telle organisation de se lancer dans une grève générale. Peut-être ce défaut est-il dû au fait que tous ses membres sont des ouvriers sans qualification. En résumé, ils utilisent des moyens radicaux pour créer leur monde de travailleurs idéal où régneraient véritablement la liberté, l’égalité et d’où l’autorité aurait disparu.


4.– Ce dont les travailleurs chinois ont le plus besoin aujourd’hui c’est d’organisations purement ouvrières. Il suffit d’un exemple pour en comprendre la raison. Imaginons que la totalité des ouvriers d’une usine se mettent en grève parce que leurs salaires sont trop bas, cependant quand ils vont rentrer chez eux ils n’auront pas de riz, et s’ils continuent à ne pas travailler, comment pourront-ils manger ? Leur patron va vouloir embaucher d’autres ouvriers et ils seront contraints de le supplier pour qu’il les garde. Leur grève aura donc été un échec complet. On voit par là que pour sauver les travailleurs chinois il faut nécessairement faire en sorte qu’ils s’organisent eux-mêmes en un gigantesque groupement de travailleurs révolutionnaires, qu’ils s’associent pour abattre les systèmes tels que « l’État », « le gouvernement » et « la loi », pour renverser les capitalistes qui sont les pires ennemis des travailleurs, et pour rendre aux travailleurs la possession des organes de production et de leurs produits.

C’est là la meilleure méthode, et tels sont les buts des IWW. On le voit, ces buts concernent au premier chef les travailleurs chinois. Le monde capitaliste touche à sa fin, le monde des travailleurs est proche. Travailleurs chinois, réveillez-vous vite de vos songes ! Fédérez-vous les uns les autres et résolvez vos problèmes vous-mêmes. Si vous voulez survivre dans le monde de demain, vous ne pouvez plus être en retard sur l’époque.

FEIGAN (Ba Jin)

[« I.W.W. yu Zhongguo laodongzhe »,
Banyue [La Quinzaine], Chengdu, n° 21, juin 1921 ;
traduit d’après la version des Ba Jin quanji, vol. 18, 1993, pp. 1-3.]