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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Portrait d’un homme réservé
À contretemps, n° 41, septembre 2011
Article mis en ligne le 22 mai 2013
dernière modification le 26 janvier 2015

par F.G.

■ Charles REEVE et Raúl RUANO BELLIDO
LE SUSPECT DE L’HÔTEL FALCÓN
Itinéraire d’un révolutionnaire espagnol

Montreuil, L’Insomniaque, 128 p., ill.

À travers le parcours militant de Francisco Gómez Palomo (1917-2008), alias Paco, les auteurs de ce livre en forme d’hommage, qui comptèrent parmi ses proches, dressent un tableau tout à fait vivant de cette dissidence communiste qui, en des temps fort hostiles, manifesta, contre vents et marées, sa singularité marxiste anti-autoritaire. Vulgairement qualifiée d’ « ultra-gauche » par l’expertise journalistique, elle engloba – du côté du communisme de conseils, notamment – une infinité de petits groupes résolument attachés à pérenniser le vieux rêve émancipateur des prolétaires, si fatalement transformé en cauchemar par le « communisme » d’État.

Cette mouvance, Paco la fréquenta de près, mais sans jamais adopter ses tics, dont cette prédisposition à l’arrogance théorique qui la caractérisait souvent. Ce qui l’en préserva, c’est à la fois sa modestie naturelle d’homme réservé et une forte méfiance du sectarisme. Il est vrai que son propre cheminement politique l’avait vacciné contre toute idée d’avant-garde autoproclamée et de théorie providentielle. Membre des Jeunesses communistes d’Espagne et du Secours rouge international au début des années 1930, il les quitta pour rejoindre, au lendemain de la Commune des Asturies d’octobre 1934, les rangs d’Izquierda comunista (IC), petite organisation sous nette influence trotskiste qui finit par fonder, un an plus tard, par fusion avec le Bloc ouvrier et paysan (BOC) et contre la volonté de Trotski, le Parti ouvrier d’unification marxiste (POUM). « Poumiste », Paco le fut complètement mais à sa manière, c’est-à-dire, là encore, sans rien abdiquer de son esprit critique. Le 16 juin 1937, avec quatre de ses camarades des Jeunesses du POUM, il sera arrêté à l’hôtel Falcón de Barcelone, siège de l’organisation, dans le cadre de la campagne de liquidation du POUM lancée, au lendemain des événements de mai 1937, par les staliniens. Emprisonné jusqu’en juin 1938, il connut, par la suite, l’exil et milita dans les rangs critiques du trotskisme avant de manifester son intérêt pour les positions de la revue Socialisme ou Barbarie et de trouver, à la fin des années 1950, un espace militant à sa mesure dans un regroupement interentreprises, première étape du groupe Informations correspondance ouvrières (ICO). À cette date, Paco travaillait comme ouvrier métallurgiste chez Mors, à Clichy, où il avait fait la connaissance de Ngo Van [1].

Si ce livre touche juste, c’est que, construit comme un collage, il adopte une forme narrative originale où le parcours individuel et militant de Paco s’insère dans le mouvement général de l’Histoire. Ainsi, aux traces de mémoire vivante laissées par Paco s’ajoutent, pour éclairer la période, les personnes ou les événements qu’elles évoquent, des fragments de textes à caractère historique – Brenan, Juliá, Jackson, Ledesma, Guillamón, Casanova, Richards, etc. – ou en prise directe avec le temps du récit –Trotski, Andrade, Scheuer, Orobón Fernández, Orwell, Lazarevitch, Solano, Paechter, Andrés Colombo, Ngo Van, etc. Le tout restitue avec pertinence, non seulement le climat des époques traversées (l’Espagne des années 1930, celle de la révolution, puis de la défaite et de l’exil, les années d’après-guerre, le renouveau des années 1960, Mai 68), mais aussi le courage politique qu’il fallut à ces irréductibles d’un autre communisme, à bien des égards proches des libertaires, pour résister, conjointement, aux ravages de l’exploitation capitaliste et à l’imposture du socialisme réellement inexistant.

À sa mesure, modestement, discrètement et avec cette capacité d’ironie qui le caractérisait quand la grandiloquence des anciens combattants le faisait sortir de sa réserve, Paco méritait bien un livre. On avouera que celui-ci lui va comme un gant, en ajoutant, pour finir, qu’il fut un fidèle lecteur de notre bulletin et que, de loin en loin, au cours de rencontres furtives, il lui arrivait de nous faire savoir qu’il l’appréciait, ce qui, pour nous, relevait forcément du compliment.

José FERGO