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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Les mots et le reste : histoires d’anarchistes
À contretemps, n° 24, septembre 2006
Article mis en ligne le 8 juin 2007
dernière modification le 28 novembre 2014

par .

■ Mimmo PUCCIARELLI et Laurent PATRY
L’ANARCHISME EN PERSONNES
Entretiens avec Eduardo Colombo, Ronald Creagh, Amedeo Bertolo,
John Clark, Marianne Enckell, José Maria Carvalho Ferreira

Lyon, Atelier de création libertaire, 2006, 368 p. et 24 p. d’illustrations hors texte.


■ Mimmo PUCCIARELLI
CLAIRE L’ENRAGÉE
Entretien avec Claire Auzias

Lyon, Atelier de création libertaire, 2006, 128 p. et 16 p. d’illustrations hors texte.

Double est l’objectif de cette série d’entretiens, publiés en deux volumes : faire le point sur l’anarchisme contemporain à travers ce qu’en pensent – ou n’en pensent pas – quelques-uns de ses (éminents) représentants, mais aussi s’attacher à la spécificité de chacun de leurs parcours – personnel et « militant ».

Se prêtant au jeu toujours difficile du questionnement, Eduardo Colombo, Ronald Creagh, Amedeo Bertolo, John Clark, Marianne Enckell et José Maria Carvalho Ferreira s’en tirent avec les honneurs, chacun à sa manière, retenue ici, effervescente ailleurs. À travers six histoires de vie forcément singulières, leurs réponses – qui font la trame du premier recueil, L’Anarchisme en personnes – donnent une idée assez précise de l’ampleur et de la pluralité de ce que, par commodité souvent, on appelle l’imaginaire libertaire.

Pour les uns, comme Eduardo Colombo, celui-ci s’articule autour d’une conception révolutionnaire et sociale qui se doit de résister aux sirènes d’une modernité libertaire soucieuse, au (faux) prétexte que l’idée de révolution aurait failli, de cantonner l’anarchisme à une « philosophie de vie » ou à un « libéralisme d’avant-garde » [1]. Pour d’autres, comme l’atypique Ronald Creagh, qui se déclare, un peu par iconoclastie, « absolument hostile à l’idée de Révolution », c’est la « mutation » et la « discontinuité » que doit, désormais, penser l’anarchisme contemporain, qu’il souhaite rés-lument expérimentateur. Amedeo Bertolo, quant à lui, semble jouer la synthèse entre ces deux pôles opposés quand il avance l’idée que la « révolution anarchiste » relève plus, aujourd’hui, de « la grande mutation culturelle » que de l’ « insurrection ». Quant à John Clark, il retient comme toujours actuelle et pertinente la notion de « groupe affinitaire », si propre à l’anarchisme, et prend quelques distances avec certains penseurs libertaires américains contemporains, dont l’attrait semble peser déraisonnablement sur les interviewers. À tous égards, laisse-t-il penser, il y a plus à prendre chez un Daniel Colson que chez un Hakim Bey, ce dont on ne doute pas. José Maria Carvalho Ferreira, lui, retient, in fine, de l’anarchisme « une façon d’être et de vivre » au mieux de ses principes dans un présent hostile. Approche minimaliste, certes, mais non dénuée de fondement.

Avec Marianne Enckell, l’histoire de l’anarchisme est d’abord affaire de maison. La sienne, qui fut pension de famille, est devenue un des hauts lieux du mouvement libertaire et une de ses rares institutions. Le CIRA y entasse ses trésors, et la maison – Beaumont – y entretient la flamme, celle que porta avec finesse et entrain jusqu’à il y a peu, Marie-Christine Mikhaïlo, sa mère et l’inoubliable inspiratrice des lieux. C’est dire si, dans le cas de Marianne, l’histoire familiale s’entremêle avec l’autre, celle du mouvement, qu’elle connaît dans ses moindres recoins depuis qu’elle a l’âge de raison – et la déraisonnable anarchie chevillée au corps – et qu’elle aime, visiblement, pour ce qu’il est : un lieu de vie « où l’on se reconnaît, où l’on s’intéresse, où l’on se lie, où l’on échange, où l’on s’engueule ». Une famille, en somme.

Qu’est-ce qui fait que, dans les milieux dit libres, on puisse fréquenter des années durant une personne sans rien connaître de sa vie ni des drames qui l’ont structurée ? C’est la question que se pose Mimmo Pucciarelli en introduction à l’entretien de Claire Auzias, dont il s’est fait le questionneur et qui est publié, à part, sous le titre Claire l’enragée. À dire vrai, l’on comprend aisément, une fois refermé ce récit sans voile, que la question se pose avec une telle acuité. Qu’elle se pose, qu’elle tarabuste et qu’elle renvoie aussi le lecteur à d’autres « enragés », disparus, ceux-là, sans laisser d’autres traces dans les mémoires qu’un qualificatif vague.

Dérangeant, le récit de vie de Claire Auzias l’est assurément. Il déchire, au sens propre du mot. Il transperce. Mais, au-delà, il restitue la dureté d’une époque, celle d’un après-Mai pathétique où se sont perdus, dans les sables mouvants d’un inacceptable retour à la normalité militante, quelques indéracinables quêteurs d’absolu.

Freddy GOMEZ