■ « En réalité, écrivait Walter Benjamin (1892-1940) dans ses Thèses sur l’histoire, il n’existe pas un seul instant qui ne porte en lui sa chance révolutionnaire. » Au vu des catastrophes en tous genres qui nous cernent, cette chance demeure la seule perspective qui devrait nous animer : tirer, par tous les moyens possibles, le « frein d’urgence » du train emballé de l’Histoire qui nous conduit vers son irrémédiable fin, et la nôtre. Contre les survivalistes arrimés à leurs peurs et les collapsologues friands de droits d’auteur, Benjamin reste la source la plus incisive qui soit pour penser le rapport dialectique qui lie notre « maintenant » aliéné à « l’autrefois » de l’émancipation. Si, « d’abord et toujours », la révolution, comme il l’affirma, est interruption de la « mauvaise histoire », rupture dans le continuum des dominations, moment de « destitution » par excellence, aucun chemin balisé par aucune avant-garde autoproclamée n’y conduira sans la trahir. D’où l’impérative nécessité, pour réinventer une perspective combattante, de renouer imaginairement avec l’incandescence révolutionnaire des anciens assauts perdus contre l’ordre accablant du monde.
Cette forte étude de Dietrich Hoss [1] s’attache à ressusciter la pensée de Walter Benjamin dans toute son originalité révolutionnaire, en analysant de manière fouillée les diverses tentatives d’occultation ou d’étouffement dont elle fut l’objet – y compris de la part de ses propres amis de l’École de Francfort : Adorno et Horkheimer. Plus encore, elle restitue la volonté non démentie de Benjamin de ne jamais déroger, comme il l’écrivit lui-même, à « l’immensité écrasante de la tâche qui consiste à substituer une communauté de sujets de la connaissance à une corporation de fonctionnaires et de diplômés » (W. B., Œuvres, vol. 1, Gallimard-Folio, p. 125). Dietrich Hoss tisse ainsi, par le menu, les fils du cheminement, toujours « hors-piste » et saccadé, de la pensée en constante évolution de Benjamin vers l’élaboration et la mise à l’épreuve d’un « concept élargi et radicalisé de la révolution ».
« Le sujet de la connaissance historique est la classe combattante, la classe opprimée elle-même », postula Benjamin, énoncé qui lui valut, de la part d’Adorno, le reproche de céder à un « romantisme inacceptable » et, pis encore, au « défaitisme de la raison après que la transformation du monde eut échoué ». Resitué dans une histoire plus récente, celle qui vit la réémergence dans les années 1960-1970 d’une nouvelle perspective révolutionnaire, « l’adieu à la révolution » qu’Adorno, contre Benjamin, jugeait depuis longtemps indispensable, fut objectivement contrebattu par une jeune génération qui renouait avec « l’ivresse révolutionnaire » théorisée, sous forte influence surréaliste, par Benjamin en une époque déjà très ancienne.
Pour nous, il ne fait pas de doute que, dans l’actuel désert de la fausse critique postmoderne, Benjamin demeure un indispensable porteur de torche.
À contretemps
[PS.– Très nombreuses, les notes de l’auteur ont été, par commodité, renvoyées en fin de texte.]