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Brève histoire de la libre-pensée arabe
Article mis en ligne le 11 février 2019

par F.G.

Préambule [1]

L’extrême visibilité de l’islam aujourd’hui nourrit l’idée – fausse – que toute personne qui, de quelque façon, par sa famille, son pays, son nom ou sa culture, aurait lien avec lui, serait intrinsèquement croyante ou religieuse. Cette visibilité, essentiellement construite autour des idéologies extrémistes, rejaillit indûment sur toute une partie du monde, en dépit des réalités historiques, politiques et sociales qui vont à l’encontre de cette vision.

Tout cela participe d’une double ignorance : celle de l’histoire des oppositions, des hérésies, d’une pensée libre et critique dans les pays musulmans, et celle des réalités sociales et politiques de ces mêmes pays. Car depuis son apparition, de très nombreux courants, personnages ou penseurs, mystiques ou rationalistes, ont critiqué l’islam comme religion de pouvoir, tels Averroès, les mu’tazilites, les qarmates, Ibn Arabi, Abu Nuwas, Omar Khayyam, Bayazid Bostami, et bien d’autres. Mais, plus récemment, s’y sont ajoutées différentes formes d’athéisme dans les pays dits musulmans – philosophies modernistes, séculières, baasistes, marxistes, et même anarchistes – et, sur un autre plan, un islam dit de marché à dimension très peu spirituelle.

Généralement censurée dans les pays où l’islam est religion d’État, cette histoire spécifique disparaît sous des récits de fondation de la Nation tous frappés du sceau de l’identité ethnique et confessionnelle, récits participant de ce qu’Aziz al-Azmeh nomme l’ « industrie de la méconnaissance ». Ce processus de recouvrement est à double effet : d’une part, il maintient les peuples des pays musulmans, et plus largement tous les musulmans d’origine, dans l’ignorance de cette histoire spécifique ; de l’autre, il donne une image de l’islamité, construite médiatiquement, qui contribue elle-même à cette ignorance en reproduisant les discours et formes de légitimation de ces différents pouvoirs. Ainsi, du fait de cette méconnaissance historique et de la non-prise en compte des discours et des combats qu’elles mènent, les nombreuses figures d’athées, d’apostats ou de libres-penseurs d’Égypte, du Maroc, d’Iran, d’Arabie saoudite, du Liban, d’Indonésie, du Soudan, des Philippines, etc. se voient doublement condamnées au silence.

Les mouvements populaires qui secouèrent, au printemps 2011, de nombreux pays arabes soulevèrent un immense espoir. En écho, les conséquences funestes des réactions politico-religieuses et autoritaires actuellement en cours à des degrés divers en Tunisie, en Égypte, en Syrie, en Libye et au Yémen sont autant de raisons de douter et de désespérer. Depuis 2015, le terrorisme djihadiste frappe au cœur de l’Europe – après avoir durement éprouvé les populations de nombreux États du Proche et du Moyen-Orient ou d’Afrique – et exacerbe les tensions et les rapports conflictuels des sociétés européennes avec l’islam et les populations musulmanes présentes sur leur sol.

Dans ce contexte, il n’est pas vain, nous semble-t-il, de faire connaître au plus grand nombre l’existence de courants critiques, athées ou matérialistes présents dans ces sociétés et dans les immigrations qui en sont issues. Certains de ceux et de celles qui s’en réclament, ignorés pour la plupart des sociétés occidentales, sont en bute aux persécutions et y laissent parfois leur peau.

Vous avez dit : « libre-pensée arabe » ?

En 1968, paraissait à Beyrouth un livre, Naqd al-Fikr al-Dini (« Critique de la pensée religieuse »), du philosophe rationaliste Sadik al-Azem [2]. Ne cherchez pas cet ouvrage, qui valut quelques ennuis à son auteur, il n’a jamais été traduit en français. Alors qu’un apologiste de l’islam comme Tariq Ramadan, avait, avant sa disgrâce, libre accès à tous les plateaux de télévision de France, combien de critiques de la religion arabes ou originaires d’un pays musulman non arabe ont eu accès aux médias ? Pire encore : qui, dans le grand public en suspecterait même l’existence ? L’athéisme et la critique de la religion existent aussi dans les pays musulmans (arabes et non arabes). Des publications, des sites internet en attestent tous les jours. Ils restent, hélas !, peu connus du grand public français.

Cette pensée trouve ses racines dans l’histoire. En atteste le Dictionnaire des athées anciens et modernes [3] paru en 1800 où, sous la plume du révolutionnaire Sylvain Maréchal, on peut lire ceci :

« ARABES, (les) : Cette nation spirituelle compte beaucoup d’Athées, et répond parfaitement à ces demi-philosophes qui prétendent que l’Athéisme éteint toute imagination. [4] »


Dans la religion musulmane, la mécréance conduit droit en enfer les réprouvés. Mais ce n’est pas l’athéisme au sens moderne du terme qui est visé par le texte coranique, car il n’est même pas envisageable. C’est d’abord l’associationnisme (shirk), assimilé au polythéisme, et ensuite ce que l’on pourrait qualifier de matérialisme (en se défiant des anachronismes réducteurs), c’est-à-dire la conviction que tout ce qui se passe sur Terre est simplement déterminé par le temps infini qui gouverne l’univers selon un flux inexorable. Ce processus s’appelle, en arabe, le dhar : cette vision du temps et des événements du monde comme résultant d’un déterminisme immanent était partagée par certains Arabes de l’anté-islam, l’âge de l’ignorance (jahylia), ainsi que le nommèrent les historiographes musulmans. Ces « dahrites » (ou « deherioun » selon d’Herbelot), s’ils admettaient un principe créateur, mais indifférent au sort des créatures, rejetaient l’idée de la résurrection des morts et d’un au-delà. Cette vision était à l’opposé de celle du message musulman, selon lequel il y a une intention et une intervention divine constante dans les affaires du monde et des hommes. Ces thèses matérialistes ont survécu, sous diverses formes, à l’imposition de l’islam ; elles se sont enrichies de la philosophie hellénique et elles ont continué de circuler, influençant de manière souterraine tel ou tel penseur opposé à l’idée de dogme révélé, mais sans constituer à proprement parler une école. On connaît ces idées par les travaux des hérésiographes musulmans (Sharastani) et des opposants, comme Ghazali, aux philosophes hellénisants (Al-Farabi, Avicenne) accusés de vouloir défendre l’idée d’éternité du monde.

Zandaqa et zindiqs au IIe siècle de l’islam

Le IIe siècle de l’hégire (VIIIe siècle de l’ère chrétienne) constitue une période de grand trouble politique, avec la fin sanglante du califat omeyyade de Damas et la naissance du califat abbasside de Bagdad. Cette période d’instabilité et d’agitation fut propice à l’émergence de courants politico-religieux déviants et à l’éclosion d’idées contestataires.

Les théologiens musulmans désignèrent par le terme zandaqa [5] ces déviances doctrinales, terme qu’on pourrait traduire par hérésie. Sous cette appellation, on mêlait le manichéisme, les différents dualismes, les divers courants déviants –comme les chiites extrémistes et les faux musulmans ou libres-penseurs. Tous était appelé zindiqs. Ce terme, qui vient du persan, désignait à l’origine les manichéens [6]. Il devait par la suite englober tous ceux qui pouvaient être poursuivis par le tribunal inquisitorial instauré, en 783, par le calife abbasside Al-Mahdi. La cible privilégiée de l’inquisition était plutôt constituée par les « faux » musulmans soupçonnés de zandaqa. L’examen de quelques cas de personnalités musulmanes accusées de zandaqa montre, premièrement, qu’elles faisaient souvent partie de l’entourage des princes, et, deuxièmement, que telle fut dans bien des cas la cause inavouée, mais la plus immédiate, de leur persécution ou de leur exécution.

Les controverses théologiques indiquent à nouveau combien l’appellation de zandaqa recouvrait de multiples réalités. Toutes pourtant avaient en commun de ruiner l’un ou l’autre volet de la doctrine, alors orthodoxe, de l’unicité divine. L’idéologie sensualiste adoptée par certains zindiqs s’opposait à l’intelligibilité de l’existence d’un Dieu unique, révélait des contradictions dans le Coran, remettait en cause l’idée de la sagesse et de la bonté divines. Étaient de même contestées la création ex-nihilo du monde et la qualité de « Messager de Dieu » de Muhammad, tout juste considéré comme un habile stratège politique. Ce scepticisme, qui doutait plus qu’il ne niait, manifestait un désaccord fondamental avec les idées et théories des théologiens musulmans. Au point que ceux-ci, dans leurs controverses avec la zandaqa, déterminèrent en quelque sorte les limites tolérables de la critique religieuse en islam, limites qui ne s’estomperont pas et qui, plus tard, auront des effets franchement négatifs sur la vitalité de la pensée critique en islam.

La zandaqa fut encore accusée de corrompre l’islam « de l’intérieur » en falsifiant ou en inventant des dires, des hadiths, attribués au prophète Muhammad. Ici apparaît l’idée qu’il convient de protéger l’islam contre un groupe d’ennemis « naturels », en l’occurrence les zindiqs, dont la secrète raison d’être serait de lui nuire. Avançant « masqué » au sein de la communauté et œuvrant secrètement à sa perte, l’ennemi devient, de facto, impossible à définir clairement. Qu’un complot satanique au sens strict du terme menaçât l’islam et les croyants fut une autre idée d’avenir : elle est aujourd’hui plus vivante que jamais.

Parmi les très nombreux zindiqs de cette période cités par Chokr Melhem, nous retenons le nom d’Ibn Abi al-Awja dont on peut penser qu’il était dahrite, c’est-à-dire « matérialiste athée », mais surtout d’une grande « indépendance d’esprit ». C’est ainsi que l’hérétique affirma :

« En disant “Dieu” tu te réfères à un absent. S’il existe vraiment, pourquoi ne se manifeste-t-il pas à ses créatures pour les appeler directement à son culte ; de la sorte, il n’y aurait pas de désaccords entre les croyants à son sujet. Pourquoi ne se laisse-t-il pas voir et se contente-t-il d’envoyer des messagers ? S’il traitait directement avec les humains, il serait plus facile de croire à son existence. Les musulmans disent qu’il est omniprésent ; mais s’il est dans le ciel, il ne peut pas être alors sur la terre, et s’il est sur la terre, il ne peut pas être dans le même temps dans le ciel. »


Ibn Abi al-Awja soutenait que le monde n’avait pas été créé, qu’il existait depuis toujours et existerait pour toujours, que les choses existaient d’elles-mêmes sans l’intervention d’un agent extérieur. Il fut exécuté en 772.

Les libertins, essentiellement poètes (Bachar Ibn Burd, Abu Nuwas, etc.), se virent, eux aussi, assimilés aux zindiqs. L’Irak fut, en effet, envahi par une forte vague de libertinage ayant auparavant germé, au sein d’une aristocratie riche et désœuvrée, dans le Hedjaz [7]. Là où il y avait un gouverneur, un marchand d’esclaves, des chanteuses et une taverne, se formaient des sociétés de libertins – avec poètes, chanteurs, musiciens des deux sexes et efféminés excentriques – chargés de divertir la haute société dont la conscience manquait singulièrement de dimension religieuse. Ce sont principalement l’hétéropraxie – refus des interdits religieux – des libertins, leur désobéissance affichée et assumée à la Loi révélée et leur hédonisme qui firent scandale. Ces comportements « hors la Loi » furent considérés comme attestant la traduction pratique de leur « mécréance » (et c’est à ce titre qu’ils furent comptés parmi les zindiqs) : athées niant la vie future, ils furent souvent taxés de « cryptomanichéens ».

On peut ainsi citer l’ami d’un poète scellant par ces mots leur réconciliation : « Nous avons fait la paix à cette condition : il ne m’invite plus à boire du vin, et je ne lui demande plus de faire la prière. » Le poète libertin, qui jouait souvent auprès du Prince le rôle de bouffon ou de compagnon de plaisir, faisait l’apologie frénétique des jouissances prohibées, négligeait le culte, violait au grand jour les interdits religieux, blasphémait, ignorait le Coran et diffusait une pensée athée : « Dieu ? Il est invisible, comment peut-on être sûr de son existence ? ». Ou encore : « Le jugement dernier ? Une légende, la vie de l’homme est identique à celle d’une plante, et une fois mort, l’homme ne sera plus ressuscité. »

Poète persan de langue arabe, Abu Nuwas [8] – env. 765-815 – reste encore aujourd’hui fort célèbre dans le monde arabe : son libertinage et son irréligion sont exemplaires parmi les poètes de son temps. Citons-le :

« J’ai quitté les filles pour les garçons
et, pour le vin vieux, j’ai laissé l’eau claire.
Loin du droit chemin, j’ai pris sans façon
celui du péché, car je le préfère.
J’ai coupé les rênes et sans remords
j’ai enlevé la bride avec le mors. »


Et encore, pour le plaisir :

« Ibrahim al-Nazzam nous tient
de vrais propos blasphématoires.
Il me surpasse en athéisme
et son hérésie est notoire.
Lui dit-on : “Que bois-tu ?” Il répond : “Dans mon verre !”
Lui dit-on : “Qu’aimes-tu ?” Il répond : “Par derrière !”

— “Et que délaisses-tu ?” Réponse : “La prière !”
On lui dit : “Que crains-tu ?” Il dit : “Rien que la mer !”
On lui dit : “Que dis-tu ?” Il dit : “Ce qui est mal !”
Puisse Dieu le brûler dans le feu infernal. »


Le prince omeyyade Walid Ibn Yazid peut-être rangé dans cette catégorie. Devenu calife à l’âge de trente-cinq ans, en 743, il s’empressa de convoquer des chanteurs et des musiciens du Hedjaz, et ses compagnons de plaisir les poètes libertins irakiens. Par son comportement qualifié de débauché, ses accoutrements et son mépris du culte, il demeure l’archétype des hédonistes, buveurs, jouisseurs et blasphémateurs. Il ne régna que quinze mois, avant de finir assassiné. Comme florilège des poèmes qui lui sont attribués, ces deux extraits : « Que Dieu, les anges et les justes soient témoins : j’aime le chant, boire du vin et mordre les belles joues… » ; « Ô toi qui t’enquiers de notre religion, c’est celle d’Abu Chakir : nous buvons le vin sec ou coupé, chaud quelquefois et quelquefois tiède. »

Les libres-penseurs

Deux éminentes figures de libres-penseurs méritent d’être évoquées : Ibn al-Rawandi et Abu-Bakr al-Razi (Razes pour les latinistes).

Al-Rawandi, qui vécut à Bagdad au IXe siècle, rédigea le très réfuté Livre de l’émeraude. Pour déjouer les pièges de la censure, l’ouvrage se présente comme un dialogue entre deux brahmanes. À partir d’arguments rationalistes, l’auteur y attaque les religions prophétiques en mettant l’accent, pour les moquer, sur les contradictions du texte sacré dont il nie, par ailleurs, la beauté jugée inimitable. Il dénonce également l’absurdité des rituels et l’invraisemblance des miracles. Pour lui, les prophètes s’apparentent aux magiciens ou aux sorciers. Le don le plus précieux accordé aux hommes par Dieu, c’est la raison. Citons-le :

« Il est évident pour nous, comme pour nos adversaires, que la raison est le bien le plus précieux que Dieu a légué à la créature et qu’il est l’instrument par lequel l’homme connaît son Seigneur et ses bienfaits et qui valide les commandements et les interdits, les attraits et les menaces (...). Si le Prophète vient pour confirmer ce que la raison connaît comme bon ou mauvais, licite ou illicite, alors nous considérons sa mission comme nulle et ses preuves inutiles, car la raison nous suffit pour le savoir. Si sa mission contredit les conclusions de la raison, nous rejetons alors le Prophète (...). Ce qui est inadmissible dans la prophétie, c’est qu’elle te force à suivre un être humain en tout point semblable à toi, ayant comme toi une âme et une raison, qui mange ce que tu manges et boit ce que tu bois (...). Elle fait de toi un objet dont il use à son gré, un animal à son ordre ou un esclave à son service. Qu’a-t-il [le Prophète] de plus que toi, quel mérite a-t-il sur toi et quelle est, enfin, la preuve de la véracité de son message ? »


De même, Al-Razi, médecin et philosophe persan mort en 935, stigmatise l’imposture des prophètes, dont les messages exploitent la crédulité des esprits faibles, suscitant confusion et avilissement de l’intelligence. Pour lui, tous les hommes sont doués de raison, et n’ont nul besoin du faux savoir des prophètes. Certes, les philosophes ne sont pas d’accord entre eux, répond-il à ses contradicteurs, mais c’est là le signe de leur indépendance d’esprit. Al-Razi est considéré de nos jours comme l’un des précurseurs de la méthode expérimentale en matière scientifique, particulièrement dans le domaine de la médecine.

On suivra l’historienne Sarah Stroumsa [9] quand elle précise que, « [...] contrairement à d’autres hérétiques, [ces deux penseurs de l’islam médiéval] n’adhèrent à aucune religion scripturaire […]. L’animosité des libres-penseurs de l’islam se focalise particulièrement sur la religion dans laquelle ils sont nés, mais par principe ils manifestent la même aversion vis-à-vis de toutes les religions révélées. [...] Il est inexact de les classer parmi les athées dans la mesure où leur critique de la religion ne va jamais jusqu’à nier l’existence de Dieu ».

Al-Maari, singulier poète

Très célèbre en son temps, souvent consulté dans son ermitage de la région d’Alep, le poète syrien de langue arabe Abul-Ala al-Maari (973-1057) occupe une place un peu excentrée dans cette constellation. Portant sur le monde un regard lucide et pessimiste, débarrassé des consolations de la religion, ce sceptique est l’auteur d’une œuvre abondante et variée : une centaine d’ouvrages, d’inégale importance, ont été répertoriés, parmi lesquels nous citerons L’Épitre du pardon, texte en prose dans lequel il discourt, sous forme souvent dialoguée, de différents aspects de la pensée arabe et musulmane, citant les contradicteurs des religieux et reprenant à son compte certaines de leurs assertions. Un de ses titres les plus connus est traduit en français sous le titre Les Impératifs [10]. Prônant l’ascèse, le poète s’y livre à des réflexions pessimistes, des pensées sur la mort, les caprices du sort et l’instabilité de la fortune, mais aussi sur le végétarisme et la doctrine de l’anéantissement.

« Les gens aspirent à l’arrivée d’un imam éloquent
Prêchant dans le tintamarre d’une foule médusée.
Quelle chimère ! Nul besoin d’imam hormis la raison,
Les religions n’ont pour dessein
Que de remettre la terre aux mains des puissants.
Tant que tu le peux, demeure seul,
L’homme sincère est un fardeau pour les humains. »

« Les habitants de la terre se divisent en deux,
Ceux qui ont de l’esprit mais pas de religion,
Et ceux qui ont de la religion mais pas d’esprit. »


Nombreuses sont les statues représentant Abul-Ala al-Maari qui ont été détruites, ces derniers temps, par les islamistes, dans plusieurs localité de Syrie.

Les qarmates

Dissidents millénaristes et radicaux de l’ismaélisme (une des branches du chiisme), les qarmates doivent leur appellation au prédicateur Hamdan Qarmat. Sous la houlette d’Abou Tahir, ils vont fonder un État sur la cote occidentale du golfe Persique, au nord-est de l’actuelle Arabie saoudite. L’idéologie qarmate combinait plusieurs éléments : le dualisme gnostique et l’ésotérisme néoplatonicien, la critique des religions et de l’ordre social qu’elle légitimaient, le messianisme et un programme révolutionnaire qu’on pourrait qualifier de proto-communiste, prônant la redistribution des terres et la mise en commun des biens, ce qui permit à ce mouvement d’emporter l’adhésion des classes populaires.

Cet État pratiqua une guerre de rapine contre le califat abbasside, et son plus haut fait d’arme fut la razzia menée contre la Mecque en 930, au cours de laquelle ses soldats, après le massacre des pèlerins et des Mecquois, s’emparèrent de la pierre noire enchâssée dans la Kaaba (saint des saints de La Mecque) et ne la rendirent que vingt ans plus tard. Cet État dura plus d’un siècle, avant de s’évanouir vers 1080.

Sur cet épisode méconnu, on lira, basé sur des faits historiques avérés, Hérétiques, le beau roman de Jocelyne Laabi [11].

Une blague de Joha…

Je donnerai pour conclure la parole à un personnage de conte, très populaire dans l’aire musulmane (de l’Asie centrale au Maghreb, en passant par la Grèce et la Sicile, où il a laissé quelques traces...). Il représente l’irrévérence, la gouaille et la ruse propres aux gens de peu qui se moquent des tyrans, de la religion et de ceux qui se disent nos maîtres. Il s’agit de Joha, connu aussi en Orient sous le nom de Nasr Eddin.

« À la fin de l’office du vendredi, l’imam, emporté par un élan mystique, s’écrie d’une voix forte :
– Ô Tout-Puissant ! Donne-nous la foi ! Donne-nous la force et l’humilité ! Donne-nous le repentir de nos fautes ! Éloigne de nous les mauvaises pensées !...
À ces mots, Joha se lève et crie encore plus fort :
– Ô Tout-Puissant ! Donne-moi des montagnes d’argent, une belle maison, des femmes, des baklavas à la pistache !...
– Arrête, mécréant, blasphémateur, fils de chien !
– Tiens ! Mais nous faisons pourtant la même chose l’un et l’autre, s’étonne Joha : chacun de-mande ce qu’il n’a pas. [12] »


Mohamed El KHEBIR

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