A Contretemps, Bulletin bibliographique
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À Claude Kottelanne, l’ami disparu
Article mis en ligne le 6 janvier 2018
dernière modification le 22 février 2018

par F.G.
Georges Rubel



J’ai connu Claude Kottelanne, en 2003, à l’occasion d’un projet de numéro thématique de la revue À contretemps consacré à Georges Navel. Le passeur fut André Bernard, un ami commun. L’alliance se tissa naturellement. Comme une évidence. L’amitié de Kottelanne avec Navel avait duré une trentaine d’années. Ils travaillèrent ensemble, comme correcteurs à L’Humanité, s’estimèrent, se fréquentèrent et s’écrivirent souvent – à l’ancienne, c’est-à-dire en se donnant réciproquement du temps. À la mort de Navel, en 1993, Kottelanne publia deux textes dans Cantonade, bulletin du Syndicat des correcteurs. Le premier, écrit peu de temps après sa disparition, traçait un beau portrait de l’auteur de Travaux. Le second, datant de 1969, présentait un projet qui occupa beaucoup Kottelanne et qui avait les faveurs de Navel : réaliser un disque à partir de son livre Travaux. Le projet avorta, les « animateurs culturels » de l’époque – ceux-là mêmes que la médiocrité accablante d’aujourd’hui revalorise au-delà du nécessaire – le jugeant « ni professionnel ni commercial ».

L’autorisation de reprendre ces deux textes dans ce numéro me fut facilement accordée, ce qui, à dire vrai, ne m’étonna pas. La surprise, proche de l’enchantement, vint d’ailleurs, d’un geste absolument gratuit de Kottelanne : m’offrir les originaux de sa correspondance avec son ami. Pour que, m’écrivit-il, je fasse mon miel d’un Navel « au quotidien », en ajoutant : « Je n’aurais pas lu À contretemps (…) qu’évidemment les lettres de Georges seraient restées dans leur chemise. En même temps ce courrier n’a rien de très intime qui puisse relever de secrets trahis. Pour certaines lettres l’encre est plus ou moins effacée. (…) Georges était un épistolier remarquable (…). Que ces trésors épistolaires puissent être un peu diffusés en enrichira quelques autres, me dis-je. » Fondé sur une confiance réciproque, le pacte s’est donc scellé sur un potlatch – le numéro Georges Navel parut en décembre 2003 et fut repris, en 2011, au format livre [1] –, mais il ouvrit surtout le champ à l’amitié.


La vie vient toujours d’un ailleurs que les circonstances confirment, modifient ou transcendent. Né à Laon (Aisne), le 17 décembre 1934, Kottelanne y fit ses études secondaires, mais surtout il y tomba amoureux, un jour de grève de 1953, d’Huguette, la compagne de sa vie, rencontrée – hasard objectif ? – sur un banc public des promenades de la ville. Par la suite, il entreprit une licence de philosophie à la Sorbonne, projet vite abandonné, puis exerça divers métiers – instituteur suppléant, manœuvre, veilleur de nuit, etc. – avant de devenir correcteur en 1963, probablement poussé à entrer dans la confrérie par des compagnons de l’Idée.

On peut avoir une prédisposition à la solitude tout en cherchant des communautés conniventes. Pour tisser des possibles sans désespérer de la révolte. L’anarchie – la « Claire Tour », disait Breton – a ce double avantage de n’entraver aucun penchant personnel et de permettre l’expérience d’une certaine forme de fraternité humaine. Au mitan des années 1950, elle entamait, pour sûr, sa traversée du désert. Raison de plus pour ne pas la déserter. Dix ans durant, de 1956 à 1966, et dans des circonstances plutôt défavorables donc, Kottelanne s’occupa de l’administration du Monde libertaire et de sa librairie, Publico, alors sise 3, rue Ternaux, dans le XIe arrondissement de Paris. J’oserais dire, pour l’avoir entendu me le dire, que le militantisme n’était pas son mode préféré, même s’il le savait irremplaçable pour faire besogne quotidienne contre l’insupportable. Cette anarchie militante, en tout cas, lui avait fait entrevoir des perspectives d’insoumission concrète. De la même façon que le surréalisme – dont il était, à sa manière singulière, un héritier – lui avait permis de comprendre que la poésie formait recours, qu’elle était exercice, confrontation, « haleine de secours », « mémoire neuve » pour dire « ce peu » : « la carte de [nos] ruines » [2].

S’il est vrai que la poésie, cet authentique dérangement, n’a de sens que pour celui qui s’y perd en cherchant un chemin, qu’elle est tout à la fois le labyrinthe et son issue, l’épreuve du plus grand trouble et la quête de la vraie vie, elle est d’abord, pour reprendre la splendide formule d’Annie Le Brun, l’image d’« une silhouette solitaire qui va ». Car, ajoute-t-elle, « la poésie n’est pas dans les choses, dans les êtres, elle est le mouvement qui les lie tout en dévoilant leur vertigineuse distance » [3]. À l’instant où j’écris ces lignes, cette silhouette s’apparente, bien sûr, à celle, fragile, de Kottelanne, l’ami, le poète, le camarade des hautes solitudes, le fraternel des correspondances. Pour lui, l’expérience poétique se situait dans l’espace du dedans, au croisement d’une connivence entre l’ombre et la lumière. Pour lui, là où se dissolvent les apparences et se formule l’informulé, au point exact du flamboiement, elle passait en force, certaine de l’éternelle supériorité de l’être sur l’avoir. Elle était la respiration d’un souffle, un rythme intérieur, l’allure d’un pas dans le dédale du temps.

Kottelanne était un homme du « chant intérieur », un poète de l’ombreuse transparence, un en-dehors du dedans, gagné à l’errance de l’imaginaire mais soucieux jusqu’à l’extrême de lui donner expression propre, ferme.

Un partage à assigner
Dans la solitude du mot
Quand on dépèce l’âme
Au couteau du présent.
 [4]

Sans dévoiement, il cherchait le ton juste et l’image portante. Au risque de les trouver. Dans une sorte de tension permanente entre mélancolie et rêve, repli et offrande. Jusque la halte finale.

« On comprend vite, quand on a vécu mon âge, écrivait Pierre Autin-Grenier, la vanité de tout projet ; les choses aussi vous lâchent pour lesquelles hier on tremblait pourtant. Bientôt on sait ne plus être d’ici et ne reconnaître vraiment aucun lieu. L’anecdote touche à sa fin. Alors un soir on est marin et on s’en va ; nulle part sur la mer, et pour rien du tout [5]. »

Kottelanne a rompu les amarres en juin 2017. Le 7, nous étions quelques proches et amis au cimetière communal de Maisons-Alfort pour lui rendre un dernier hommage. Comme correcteurs, mais sans autre mandat que l’amitié qui nous unissait à lui, on comptait Maurice Cury, Georges Rubel et moi-même. Huguette, sa compagne d’une vie, tenta de dire quelques mots, mais l’émotion brisa vite sa voix. Tristan, leur fils, reprit le flambeau.

Dans ma tête, je me récitais ces vers, qui me touchent profond :

Ce soir je ne parle pour personne.
Pourtant ma révolte est intacte,
et je ferais fi de l’épreuve du temps si les hommes
de justice ne perdaient pas le sens de la Terre.

Car je suis le premier homme
et je suis aussi le dernier homme,
comme toi, mon camarade.
 [6]

Freddy GOMEZ
Entre nous, n° 53, janvier 2018.

Claude Kottelanne a publié

Le Mauvais Sang, Les Poètes de la Tour, 1965.
Le Chien de garde, Gaston Puel, 1966.
Comment dire ce peu, La Fenêtre ardente, Gaston Puel, 1967.
Ici et maintenant, Encres vives, 1971.
Loquèle, Guy Chambelland, 1975.
Le Fardeau de verre, H. C., 1978.
La Part du feu, Arcam, « Haute Voix », 1979.
La Nuit au jour, L’Impatiente, 1994.
L’Apprentissage de l’ombre, L’Impatiente, 1994.
Comment dire ce peu, édition augmentée, préface de Gaston Puel, L’Arbre, 1995.
Sous une ombrelle de paille, L’Impatiente, 1995.
Aux yeux de qui ne sait pas, L’Arbre, 1997.
Le Feu de l’origan, L’Arbre, 1997.
Si j’avais oublié quelque chose, L’Arbre, 1999.
La Jardinière du Mississippi, Claude et Huguette Kottelanne, 2006.
Car je suis le premier homme, La Porte, 2011.


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