■ Max LEROY
LES ORAGES LIBERTAIRES
Politique de Léo Ferré
Lyon, Atelier de création libertaire, 2012, 160 pp.
Il arrive que des artistes s’arriment à l’anarchie pour y faire étape, le temps d’une inspiration, et s’en détachent, une fois la gloire venue, comme on se guérit des colères. Le phénomène est connu et longue la liste de ces oiseaux de passage qui se posèrent, un temps, sur la « claire tour » avant d’aller voir ailleurs. Au nombre des exceptions, il faut bien sûr compter Léo Ferré dont l’anarchie berça la poésie au temps de la mouise et qui, à l’heure du succès, continua de s’y inventer, en solitaire solidaire, des « chemins de traverse ». La rencontre de Ferré avec les anarchistes eut lieu au début des années 1950, mais elle venait de loin – d’une enfance, disait-il, où la découverte fortuite du mot « anarchie » dans le Larousse avait ouvert, à l’entendre, une brèche définitive dans le mur de la soumission. À travers ce livre, Max Leroy s’intéresse aux rapports fraternels et suivis que Ferré entretint, sa vie durant, avec l’anarchie. Il le fait sans jamais céder à cette manie moderne de l’anecdotique et en allant au fond des choses. Au début, il y a le partage avec quelques frangins de hasard dont la révolte esthétique lui paraît coïncider avec la sienne, mais il y a surtout l’Espagne, l’Espagne de la « désirade », l’Espagne des « camarades », celle qui attend « le chemin du retour ». Cette Espagne, Ferré en fera, du « Flamenco de Paris » aux « Anarchistes », une « balise » de son identité libertaire : « Pour l’anarchiste à qui tu donnes / Les deux couleurs de ton pays / Le rouge pour naître à Barcelone / Le noir pour mourir à Paris » (« Thank you, Satan »). Car l’Espagne, c’est tout à la fois la légende des combats, la solitude des défaites et le poids de l’exil, trois dimensions qui, symboliquement, ont beaucoup à voir avec cette « formulation politique du désespoir » qui, pour Ferré, définissait mieux que tout l’anarchie. De chapitre en chapitre, Max Leroy explore son univers intime, contradictions comprises, pour dresser un tableau subtil de cet artiste hors pair qui réinterpréta l’anarchie comme état d’âme.
Monica GRUSZKA