A Contretemps, Bulletin bibliographique
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L’autre communisme
À contretemps, n° 38, septembre 2010
Article mis en ligne le 13 décembre 2011
dernière modification le 17 janvier 2015

par F.G.


Pier Paolo POGGIO (coordinateur)
L’ALTRONOVECENTO : COMUNISMO ERETICO E PENSIERO CRITICO
Volume 1 : L’età del comunismo sovietico (Europa 1900-1945)

Brescia-Milano, Fondazione Luigi Micheletti/Jaca Book, 2010, 674 p.

Les tristes temps qui courent sont peu portés aux projets éditoriaux novateurs et ambitieux. On se contente en général de peu, et ce peu, inlassablement vanté par de petits médiocrates, finit par faire illusion. Société de l’insignifiance, disait Castoriadis. Dans ce néant, la parution italienne du premier (fort) volume des cinq annoncés de L’Altronovecento, impressionnante somme consacrée au « communisme hérétique », fait évidemment figure d’événement. Par son ampleur, mais aussi, à en juger par cette livraison, par sa qualité.

C’est à Pier Paolo Poggio, historien et directeur de la Fondation Luigi Micheletti de Brescia, et à l’éditeur Jaca Book, de Milan, que l’on doit que ce titanesque projet – auquel ont prêté leur concours, pour ce premier volume, trente-cinq historiens et chercheurs de diverses nationalités – ait été mené à bien. L’idée qui le sous-tend, exprimée par Pier Paolo Poggio en ouverture d’ouvrage, est la suivante : « Le XXe siècle fut celui du communisme et de son effondrement. La somme de ces deux affirmations, qui nous semblent fondées, eut pour effet, parallèlement à beaucoup d’autres, de tirer un trait sur des personnes, des mouvements et des conceptions sans l’aide desquels la compréhension de notre passé se révèle impossible ou fortement limitée. » L’idée posée, restait à définir, et là n’était sans doute pas la tâche la plus aisée, qui entrait – ou n’entrait pas – dans cette catégorie du « communisme hérétique », cet autre communisme que l’histoire des vainqueurs – écrite, à deux mains, par les thuriféraires et les contempteurs du seul communisme admis comme tel, celui qui s’identifia aux dictatures bureaucratiques sous orbite soviétique – a fini, sinon par effacer des mémoires, du moins par oblitérer [1]. Il y aurait, bien sûr, beaucoup à dire sur les contours par trop élastiques adoptés ici de la notion de « communisme hérétique » – qui s’adjoint, par exemple, des vainqueurs vaincus aussi célèbres que les zélés bolcheviks Trotski et Boukharine ou encore des intellectuels, comme Lukács et Brecht, certes hétérodoxes mais pesamment complices du système communiste d’État –, mais il est vrai que cette monstrueuse construction politico-sociale eut aussi pour caractéristique de transformer les anciens serviteurs de la veille en dissidents du lendemain.

Pour le reste, les initiateurs de ce grand œuvre, sans doute conscients des reproches que ne manqueraient pas de susciter leurs choix, se sont intelligemment couverts en élargissant leur champ d’investigation à « la pensée critique », terme générique suffisamment abstrait pour y intégrer des penseurs non alignés – comme Simone Weil, Martin Buber, George Orwell et quelques autres –, qui eurent, chacun dans leur domaine, l’insigne honneur de ne jamais transiger sur la liberté de penser contre.

Ce premier volume de L’Altronovecento – qui aborde « l’âge du communisme soviétique » en Europe pendant la période allant de 1900 à 1945 – est structuré en cinq parties d’importance égale : « Révolution, guerre et communisme », « Communistes hérétiques », « Marxistes hétérodoxes », « L’anti-stalinisme » et « Une autre idée de la révolution ». Parmi les nombreuses et intéressantes contributions qu’il recueille, nous signalerons – non tant parce qu’elles se distingueraient des autres en qualité, mais plutôt parce qu’elles entrent en écho avec des thématiques ou des personnages qui nous sont proches – celles consacrées au mouvement des conseils en Allemagne (Gianni Carrozza), au communisme anarchiste (Giampietro Berti), au POUM (Alessandro Seregni) ou encore à Anton Pannekoek (Corrado Malandrino), à Victor Serge (Claudio Albertani), à Camillo Berneri (Renzo Ronconi), à Ignazio Silone (Andrea Ricciardi), à Boris Souvarine (Charles Jacquier) et à Gustav Landauer (Gianfranco Ragona).

Pour Pier Paolo Poggio, la réminiscence, dans ses diverses (et contradictoires) variantes, de cette riche pensée critique liée, de près ou de loin, à une autre conception du communisme ou de la révolution, peut avoir quelque utilité en ces temps orphelins où tout projet émancipateur se heurte, désormais, au fantôme du sinistre communisme d’État. Reste que, à l’exception de certaines contributions, ce volume, et c’est bien dommage, accorde beaucoup plus d’importance aux théoriciens qu’aux mouvements collectifs qui, contre vents et marées, ont tenté, en cette première moitié de XXe siècle, d’en porter le souffle, en Espagne, par exemple. Espérons que les prochains volumes [2] de cette somme déjà indispensable rétabliront le nécessaire équilibre entre la main à plume et la main à charrue.

Freddy GOMEZ


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