■ BESSOMPIERRE, L’Amitié de Guy Debord, rapide comme une charge de cavalerie légère, Arles, Les Fondeurs de briques, 2010, 112 p., ill.– Récit d’une amitié tissée à Arles, au printemps 1981, entre l’auteur, peintre, poète et, en ces temps, propriétaire d’un petit restaurant de poisson, et Guy Debord. Cet exercice, qui exige suffisamment de doigté pour ne pas verser dans le pathos, Bessompierre le maîtrise bien. Il en ressort un portrait vivant d’un guetteur de grande classe.
■ Ronald CREAGH, Utopies américaines. Expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, Marseille, Agone, « Mémoires sociales », 2009, 400 p.– Cette réédition augmentée et actualisée de Laboratoires de l’utopie, ouvrage paru en 1983 chez Payot, est opportune. Ces temps orphelins seront peut-être plus aptes à découvrir ces expériences libertaires de vie communautaire qui, du XIXe siècle à nos jours, refleurirent, comme « oasis d’humanité », au cœur de l’Empire. Du moins peut-on l’espérer.
■ Alèssi DELL’UMBRIA, Échos du Mexique indien et rebelle, Paris, Rue des Cascades, 2010, 96 p.– Pour ce cinquième « Livre de la jungle », deux brefs et brillants essais – La Guelaguetza d’Oaxaca et Terres communales de Santa María Ostula (suivi du Manifeste d’Ostula) – reviennent sur les événements d’Oaxaca de 2006 et sur l’occupation des terres d’Ostula, en juin 2009, par des Indiens nahuas.
■ Francis DUPUIS-DÉRI, Les Black Blocs, Montréal, Lux, « Instinct de liberté », 2010, 252 p.– Troisième édition, revue et augmentée, de cet ouvrage consacré aux Black Blocs. Informé, le livre n’est pas exempt, cependant, d’une certaine fascination pour ce phénomène issu de la mouvance autonome et que l’auteur rattache, un peu trop mécaniquement, à la tradition anarchiste d’action directe.
■ Francis DUPUIS-DÉRI, Lacrymos. Récits d’anarchistes face aux pleurs, Lyon, Atelier de création libertaire, 2010, 92 p.– « Avez-vous déjà pleuré pour des raisons politiques ? », telle est la question posée à une vingtaine de jeunes activistes de sensibilité anarchiste coutumiers des manifestations altermondialistes. La réponse est le plus souvent positive. Comme quoi l’anarchie est aussi affaire d’émotion.
■ ÉCHANGES ET MOUVEMENT, Restructuration et lutte de classes dans l’industrie automobile mondiale, Paris, Éditions Ni patrie ni frontières, 2010, 232 p.– Réunion en volume d’une trentaine de textes publiés dans le bulletin Échanges, entre 1979 et 2009, sur la restructuration de l’industrie automobile mondiale et les résistances ouvrières, toujours temporaires et le plus souvent vaincues, qu’elle provoqua.
■ ENCYCLOPÉDIE ANARCHISTE, La Raison contre Dieu, Paris, Éditions Ni patrie ni frontières, 2010, 484 p.– Prévue en cinq gros volumes, seul parut, le premier de L’Encyclopédie anarchiste, ce grand œuvre de savoir anarchiste coordonné par Sébastien Faure. Sa diffusion, par fascicules, entre 1925 et 1934, connut un certain retentissement. Retenant les entrées ayant trait à la critique de la religion, cette anthologie a le mérite de restituer, sur cette thématique, l’imaginaire libertaire de l’époque. Qu’il soit daté est une évidence, c’est même un pléonasme. Reste qu’il démontrait une claire volonté de combattre, pied à pied, l’obscurantisme religieux. Et ça, c’est intemporel.
■ Yves FRÉMION, Provo : Amsterdam 1965-1967, Paris, Nautilus, 2009, 240 p., ill.– Retour sur une « tornade blanche » aux effets prolongés qui secoua le très paisible royaume de Hollande au mitan des années 1960. Richement illustré et habilement construit, cet ouvrage en retrace la genèse, en fixe le déroulement et s’intéresse à son héritage.
■ Claude GUILLON, La Terrorisation démocratique, Paris, Libertalia, collection « À boulets rouges », 2009, 160 p.– Sur fond d’affaire dite « de Tarnac », l’auteur revient sur ce funeste penchant démocratique à se servir du « terrorisme » – réel ou supposé – pour mettre en coupe réglée les dissidences – effectives ou virtuelles – qui, de fait, pourraient contester la marche du monde. L’analyse est sérieuse et argumentée, notamment en matière de textes législatifs.
■ Pierre KROPOTKINE, L’État, son rôle historique, Marseille, Le Flibustier, 2009, 168 p.– Réédition de quatre textes anti-étatiques de Pierre Kropotkine (1842-1921) : L’État, son rôle historique (1896-1897) ; L’Organisation de la vindicte appelée Justice (1901) ; La Loi et l’Autorité (1882) ; Les Droits politiques (1882).
■ INTERNAZIONALE SITUAZIONISTA, Textos completos de la sección italiana de la Internacional Situacionista (1969-1972), prologue de Miguel Amorós, Logroño, Pepitas de calabaza, 2010, 356 p., ill.– Bonne édition, en langue espagnole, des textes de la section italienne de l’Internationale situationniste – dont il existe une version française, éditée, en 1988, par Contre-Moule, dans une traduction de Joël Gayraud et Luc Mercier. L’édition espagnole est précédée d’un prologue de Miguel Amorós évoquant la brève, aventureuse et parfois comique histoire de cette branche italienne de l’IS.
■ Hugues LENOIR, Éduquer pour émanciper ! Paris, Éditions CNT-Région parisienne, 2009, 184 p.– Reprise en volume de six articles de Hugues Lenoir parus dans des revues militantes, syndicales et professionnelles et abordant « la question centrale des liens qui unissent, depuis l’origine, le syndicalisme révolutionnaire et l’éducation ». Le tout fait un livre fort intéressant d’où il ressort, effectivement, que l’intuition de Pelloutier – « instruire pour révolter » – fonda une démarche constante chez ses continuateurs, et même au-delà, comme l’indique l’exemple de Jaurès.
■ Violette MARCOS, Anne RIEU, Juanito MARCOS, Francisco Ferrer i Guardia 1859-1909 : une pensée en action, Toulouse, Le Coquelicot, 2009, 110 p., ill.– Évocation de la figure de Francisco Ferrer à travers ses nombreux déplacements (de Barcelone à Paris) et ses implications de « rationaliste combattant » (Ramón Safón) dans le combat anarchiste, anti-théologique et éducationniste. Son œuvre est mise en écho avec les thèses des pédagogues et des féministes libertaires de son temps.
■ Victor MÉRIC, Les Bandits tragiques, Marseille, Le Flibustier, 2010, 224 p.– Paru en 1926, cet ouvrage de Victor Méric (1876-1933), journaliste et écrivain proche des anarchistes, fit longtemps figure de classique sur la « bande à Bonnot ». Malgré le temps, et même si l’on a fait mieux sur le sujet, le livre garde une certaine fraîcheur.
■ NI PATRIE NI FRONTIÈRES, Religion et politique : athéisme, matérialisme, laïcité, Paris, Ni patrie ni frontières, 2010, compilation n° 5, 392 p.– Reprise de textes publiés entre 2004 et 2010 dans la revue Ni patrie ni frontières. Le volume est enrichi de nouveaux textes à caractère historique (Jules Guesde, Nelly Roussel et Madeleine Pelletier) et d’une critique —– sévère, mais nuancée –, signée Yves Coleman, du livre de Hamid Zanas, L’Impasse islamique (Éditions libertaires, 2009), qui, « malgré ses nombreux défauts, […] pose des questions utiles ».
■ ORGANISATION DES JEUNES TRAVAILLEURS RÉVOLUTIONNAIRES, Le Militantisme, stade suprême de l’aliénation, textes présentés et annotés par Claude Guillon, Paris, Parrhèsia/Éditions du Sandre, 2010, 60 p., ill.– En note de l’entretien À contretemps-Radio libertaire repris en volume sous le titre La Double Pensée – Flammarion, Champs/Essais, 2008 –, Jean-Claude Michéa, signalant cette brochure de 1972, écrivait : « Ce texte sulfureux (dénonçant, entre autres, l’omniprésence du masochisme, de la religiosité et de la volonté de puissance dans l’univers militant) […] avait été reçu, à l’époque, comme un véritable coup de pied dans la fourmilière gauchiste. Inutile de préciser que les « leaders historiques » du mouvement s’arrangèrent assez vite pour organiser l’oubli définitif des questions qui venaient d’être ainsi soulevées. » Comme quoi les « leaders » passent et les textes restent…
■ Anton PANNEKOEK, Les Conseils ouvriers, tome I, Paris, Spartacus, 2010, 270 p.– Réédition du premier tome – le second étant toujours disponible dans l’édition Spartacus de 1982 – de cette œuvre majeure du théoricien communiste de conseil hollandais Anton Pannekoek (1873-1960). Rédigé entre 1943 et 1947 avec une claire volonté pédagogique, ce livre, qui se veut analyse critique de la société capitaliste et bilan d’un siècle de luttes ouvrières, s’articule autour de l’idée qu’il n’est d’autre émancipation sociale possible que celle qui naîtra de la capacité de la classe ouvrière à s’auto-organiser en se libérant de toute médiation bureaucratique et parlementaire.
■ Jacques PERDU, La Révolte des canuts 1831-1834, Paris, Spartacus, 2010, 92 p.– Réédition d’un texte classique, et néanmoins remarquable, de Jacques Perdu (Jean-Jacques Soudeille) sur la révolte des canuts. Initialement publiée en 1931, pour le centenaire de la première insurrection lyonnaise, cette brochure, écrite sur la base de témoignages de l’époque, en retrace le déroulement, de 1831 à 1834, avec la ferme conviction que ce mouvement marqua « le premier sursaut purement prolétarien » d’une longue lutte ouvrière dont la Commune de Paris sera, quelque trente-cinq ans plus tard, une nouvelle étape.
■ Irène PEREIRA, Anarchistes, Montreuil, La ville brûle, 2009, 144 p.– À partir d’une mise en perspective chronologique de la pensée et des pratiques anarchistes, ce court texte, qui s’adresse aux jeunes générations militantes, aspire à dresser une typologie de ses actuels et multiples héritiers. Très carré, le propos est soutenu par une mise en page de style « maoïste » laissant peu de place à la rêverie anarchiste.
■ Émile POUGET, L’Action directe, suivi de Le Sabotage, Marseille, Le Flibustier, 2009, 138 p.– Réédition de deux textes d’Émile Pouget (1860-1931) publiés dans la première décennie du siècle dernier, période d’intense rayonnement du syndicalisme d’action directe à la française, mais dont les échos sont toujours porteurs.
■ Francis de PRESSENSÉ, Émile POUGET, etc., Les Lois scélérates de 1893-1894, Marseille, Le Flibustier, 2008, 98 p.– Reprise de trois textes parus dans La Revue blanche en 1898 et 1899 – et jamais réédités depuis – qui analysent dans le détail l’arsenal législatif répressif anti-anarchiste promulgué en 1893 et 1894 et connu sous le terme générique de « lois scélérates ».
■ Patrick RANNOU, L’Affaire Durand, Paris, Éditions CNT-Région parisienne, 2010, 72 p., ill.– Excellente mise en perspective historique du grand mouvement social havrais qui aboutit, le 25 novembre 1910, à la condamnation à mort de l’anarchiste et syndicaliste Jules Durand (1880-1926), secrétaire du Syndicat des charbonniers, puis à sa grâce, trois mois plus tard, sous l’effet d’une immense campagne de solidarité ouvrière. Jules Durand, hélas, qui avait perdu la raison lors de sa détention et passa directement de la prison de Rouen à l’asile d’aliénés de Sotteville, ne put pas fêter l’événement. À l’occasion du centenaire de l’affaire Durand, cette brochure, bien documentée, précède la sortie, à l’automne, chez le même éditeur, du roman d’Émile Danoën, L’Affaire Quiniot.
■ Jean-Manuel TRAIMOND, Sourates pour Dubaï, Lyon, Atelier de création libertaire, 2010, 192 p.– Récit d’un séjour à Dubaï, cette ville-État qui se pose en avenir exemplaire de l’hyper-capitalisme, où Jean-Manuel Traimond a traîné ses guêtres en février 2009. Transcrits en trente-huit sourates, ses souvenirs et notations de voyage restituent un univers invraisemblable où prend toute sa valeur l’intuition debordienne selon laquelle « le vrai n’est qu’un moment du faux ». Écrit avec style, humour et mordant, le livre est aussi un reportage très vivant sur l’autre face de Dubaï, celle de l’exploitation éhontée des quelque 800 000 travailleurs jetables (essentiellement des immigrés pakistanais, indiens, népalais et sri lankais) qui travaillent – et comment ! – à la construction de l’avenir radieux et infini de la marchandise. Instructif.
■ Julius VAN DAAL, Beau comme une prison qui brûle, Montreuil, L’Insomniaque, 2010, 96 p., ill.– Les émeutes alcoolisées du XVIIIe siècle -– gin riots – levèrent, avec une belle constance et beaucoup d’ardeur, un petit peuple de Londres accablé de misère et d’humiliation. Elles connurent leur point d’émotion paroxystique le 2 juin 1780. En cette date et à la nuit tombée, « déferlant par dizaines de milliers des slums de Whitechapel ou de Southwark, des ateliers et des docks, des bordels et des tavernes », des émeutiers formant marée humaine prirent la ville. Dans un joyeux bordel, la « canaille » s’en saisira pendant plusieurs jours. Si, le temps de cette insurrection bien arrosée, le petit peuple se fit craindre des puissants, ce n’est pas – nous dit Julius Van Daal, qui s’en fait le joyeux chroniqueur –, « par leurs aspirations, qu’ils savaient moins encore qu’aujourd’hui formuler, mais par la révélation fulgurante de leur “être-ensemble” ».