C’est une décision inédite : un assistant parlementaire interdit d’accéder à l’Assemblée nationale, son propre lieu de travail donc. Il s’agit de Ritchy Thibault, militant qui s’est engagé pour les Gilets jaunes, pour la Palestine et bien d’autres causes, et qui a régulièrement été ciblé par la répression ces dernières années. Le jeune homme a été embauché comme assistant parlementaire de la députée insoumise Ersilia Soudais, suite à la dissolution de cet été.
Cette semaine, Ritchy Thibault a eu la mauvaise surprise d’être refoulé par les gendarmes alors qu’il s’apprêtait à entrer à l’Assemblée. C’est, semble-t-il, du jamais-vu pour un employé parlementaire. Il raconte même avoir été molesté, la garde républicaine lui aurait « arraché » son badge d’accès avant de le lui rendre. La députée Ersilia Soudais, qui l’embauche, a donc écrit à la présidente de l’Assemblée pour demander une explication. La macroniste Yaël Braun-Pivet a répondu par un courrier officiel : « Lorsqu’un trouble à l’ordre public est avéré, un refus d’entrer peut être opposé, fût-ce à titre conservatoire. C’est le cas en l’espèce. »
On connaissait les interpellations préventives pour « groupement en vue de commettre des troubles à l’ordre public », c’est-à-dire une répression qui s’exerce avant même un acte potentiel, façon Minority Report, c’est désormais un assistant parlementaire qui est refoulé parce qu’il pourrait éventuellement causer des « troubles » à l’Assemblée étant donné ses idées politiques. On peut s’étonner que, dans le même temps, des assistants parlementaires du Rassemblement national qui ont tenu des propos racistes, voire néo-nazis, n’aient jamais reçu de telles sanctions.
Mais d’où vient la décision d’exclure Ritchy Thibault du Parlement ? Tout est parti d’un tweet du jeune homme qui avait qualifié les policiers « d’enfants de Pétain », le 14 octobre dernier. Le message complet visait les liens entre certains médias d’extrême droite et la police : « La collaboration entre les enfants de Pétain de la Police nationale et les torchons de Bolloré est logique. Rien d’étonnant dans le fait d’être fiché par un régime en cours de fascisation. » Le ministre de l’Intérieur s’était fâché tout rouge, annonçant un dépôt de plainte contre Ritchy Thibault. Il a déclaré : « Je ne tolérerai aucune insulte contre les forces de l’ordre. Ceux qui mettent des cibles dans le dos de nos policiers et de nos gendarmes doivent en répondre devant les tribunaux. »
Et comme pour confirmer le message de Ritchy Thibault, c’était Jean-Baptiste Marty, journaliste d’Europe 1, organe du groupe Bolloré, mais surtout fils du patron de la Direction des renseignements à la Préfecture de police de Paris, qui avait révélé en exclusivité cette affaire. Illustrant ainsi, on ne peut plus clairement, le lien entre presse réactionnaire, police et pouvoir politique dénoncé par l’intéressé.
Maintenant, venons-en au fond de l’affaire. La Police nationale peut-elle être qualifiée « d’enfant de Pétain » ? D’un point de vue historique, c’est incontestable. Le 14 août 1941, c’est bien le régime de Vichy qui crée la Police nationale, par un décret du maréchal Pétain. Jusqu’ici, il n’y avait pas de force de police unifiée en France, mais des polices municipales.
La Direction générale de la police française est alors créée et rattachée au ministère de l’Intérieur. Et la police est divisée en trois catégories : Police judiciaire, Renseignements généraux et Sécurité publique. C’est aussi la création des Groupes mobiles de réserve (GMR), spécialement chargés de la répression et du maintien de l’ordre. Ils seront renommés CRS à la Libération. Les GMR sont utilisés sous l’occupation pour constituer des pelotons d’exécution de résistants et résistantes, ou pour attaquer des maquis. Ils sont déployés contre le maquis du plateau des Glières : 3 000 gardes, GMR et miliciens, contre 500 résistants. L’opération est un échec. D’autres attaques auront lieu, notamment dans le Limousin.
Le 19 avril 1942, c’est le collaborationniste et antisémite forcené René Bousquet qui est nommé secrétaire général de la Police nationale. Les moyens alloués à cette nouvelle police sont exceptionnels. Les salaires sont revalorisés, les uniformes sont inspirés de ceux portés par les SS, des écoles de police sont créées dans chaque région.
Il faut noter que René Bousquet organise aussi un gigantesque système de fichage, qui comprend notamment le « Fichier S » pour « Sûreté de l’État », l’ancêtre de l’actuelle « Fiche S », désormais célèbre puisqu’elle sert toujours à surveiller les opposants politiques mais aussi à les salir dans les médias, comme cela a récemment été le cas avec Raphaël Arnault. La police moderne comme le fichage sont ainsi structurés par des sympathisants nazis, sous Pétain.
Les 16 et 17 juillet 1942, des milliers de policiers français raflent plus de 13 000 juifs, hommes, femmes et enfants, pour les charger dans des trains en direction des camps de la mort. L’objectif est de faire plaisir aux nazis. Moins d’une centaine d’adultes en reviendront, et aucun enfant. Le 14 mai 1941, la police avait déjà raflé 3 700 juifs considérés comme « étrangers ou apatrides ».
Après-guerre, il n’y aura pas vraiment d’épuration, même si évidemment les missions ne sont officiellement plus les mêmes. D’ailleurs, la structure de la Police nationale ne changera pas et reste aujourd’hui encore presque identique. Ce seront les mêmes hauts responsables qui resteront en poste après la guerre à la tête de l’institution, et donneront l’ordre d’écraser les grèves ou de terroriser les indépendantistes algériens, notamment lors du massacre du 17 octobre 1961 : des centaines de manifestants sont jetés dans la Seine. À la préfecture de Paris, le donneur d’ordre se nomme Maurice Papon, ancien collaborateur avec les nazis qui n’a jamais été puni. Le 8 février 1962, le même préfet fait massacrer 8 personnes lors d’une manifestation antifasciste pour la paix en Algérie.
En 2024, il est avéré que la grande majorité des agents de la police nationale votent pour l’extrême droite. En 2020, une manifestation policière a encerclé l’Assemblée Nationale en criant « le problème de la police, c’est la justice ». Des scandales éclatent régulièrement à propos de paroles racistes voire néo-nazies tenues par des policiers. L’été dernier, après l’exécution de Nahel, les syndicats policiers réclamaient ouvertement les pleins pouvoirs, le permis de tuer, et menaçaient le gouvernement. On trouvait dans leur communiqué ces mots effrayants : « L’heure est au combat contre les nuisibles », « Les policiers sont au combat car nous sommes en guerre », « Face aux hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer ».
Si Ritchy Thibault passe en procès, les débats risquent donc d’être intéressants. Ce sera peut-être l’occasion de faire ces quelques rappels historiques irréfutables face aux juges et aux représentants du Ministère de l’Intérieur. Mais aussi d’invoquer des sources littéraires, par exemple l’immense chanteur Georges Brassens qui appelait, de façon poétique, à émasculer les policiers dans ses chansons, le poète Aragon qui appelait à « descendre les flics » dans un poème des années 1930 ou le chanteur Renaud qui appelait à manifester avec des grenades.
Des paroles bien plus radicales que la banalité publiée par Ritchy Thibault. Ces auteurs reconnus comme faisant partie du patrimoine culturel français seraient aujourd’hui poursuivis par le Ministre de l’Intérieur.
Contre-attaque (Nantes)
25 octobre 2024
« Enfant de Pétain », la Police nationale ?
De quelques rappels historiques suite à la sanction d’un assistant parlementaire