Glaser par Glaser
« Je suis né en 1910 à Guntersblum, un petit patelin dans le Palatinat – enfin, en Rhénanie. Je me suis retrouvé très tôt sur le trimard. J’ai été chopé et on m’a mis dans une maison de redressement, de 1926 à 1929. En 1930, je me suis retrouvé en prison, pour avoir mis KO un schupo au cours d’une manifestation. C’est là que j’ai commencé à écrire. En 1931, j’ai publié mon premier texte dans la Frankfurter Zeitung. J’écrivais des petits récits sur la vie des jeunes vagabonds, des jeunes en maison de redressement. Je naviguais entre les jeunesses communistes, les anarchistes et les Amis de la nature. Je n’ai jamais été au Parti proprement dit. En 1932, j’ai écrit un premier petit livre, Schluckebier (Gorgée de bière), publié à Berlin.
» Après la prise du pouvoir par Hitler, j’ai essayé avec d’autres de faire des petits groupes de résistance clandestine. Ça a duré l’hiver 1933-1934. Après je suis allé dans la Sarre, et de là à Paris, pour retrouver les écrivains – la seule société, ou paroisse, dont j’étais membre : l’Association des écrivains révolutionnaires. Fin 1935, je suis retourné dans la Sarre, où il y avait encore un combat à mener, et où j’ai travaillé pour la Westland. J’ai été arrêté avec d’autres le jour de la proclamation des résultats du référendum, et de nouveau j’ai réussi à me tailler.
» À ce moment-là, j’étais considéré comme réfugié sarrois. Quand j’ai été déchu de la nationalité allemande, je suis devenu apatride, ce qui me donnait le droit de travailler, contrairement aux étrangers. Après deux stages à l’école Diderot et à l’institut de soudure, je suis entré aux chemins de fer, en Normandie. Marié à une Française, le neuvième jour de la guerre, j’ai été appelé. Après des aventures en Belgique, Stukas et compagnie, je me suis retrouvé à Dunkerque. On nous a embarqués, puis débarqués à Brest (l’idée du “réduit breton”), où j’ai été fait prisonnier. J’ai fait plusieurs stalags, en France et en Allemagne, pour finir à Georlitz, en Galice, à la frontière polonaise. Je me suis évadé, je suis parvenu jusqu’à Schiltigheim, près de Strasbourg, où je me suis fait piquer. Je me suis retrouvé dans des trucs punitifs - Ludwigsburg, Neutingen, etc.
» De retour à Paris après la Libération, je suis entré chez Renault. J’ai écrit mon livre Secret et Violence. J’ai vu ce qu’était le travail à la chaîne, et j’ai compris que c’était la mort de l’âme. Alors j’ai fait mon “cinquième point cardinal” - c’est-à-dire mon atelier de dinanderie. J’ai écrit d’autres livres - un sur Weidman, l’assassin, que j’ai connu jeune en maison de redressement ; une pièce de théâtre sur Van der Lubbe, l’incendiaire du Reichstag, qui a été publiée mais non jouée ; un petit livre sur la rue des Rosiers, où j’ai vécu ; et mon dernier livre, Jenseits der Grenzen (Au-delà des frontières, 1985). »
[Propos recueillis par Phil Casoar au début des années 1990]
Koestler par Glaser
« J’ai rencontré Koestler pour la première fois en 1932. Je venais de publier mon premier livre, Schluckebier (Gorgée de bière), et je suis venu à Berlin. Koestler faisait partie du syndicat des écrivains noyauté par les communistes, avec Becker, Anna Seghers, Manès Sperber, toute l’intelligentsia de la littérature de gauche. J’avais commencé par publier des récits dans la Frankfurter Zeitung, le meilleur journal en allemand qui ait jamais existé. Ils m’ont accueilli : « Ah, c’est vous le Glaser ! » On me laissait la liberté du fou – mon livre n’était pas conforme à la ligne. Néanmoins, ils l’ont publié.
» Koestler a toujours été un type très favorisé, un journaliste de luxe – il avait été le seul reporter invité à bord du Zeppelin. Une chose qui m’a déplu : il avait déjà vu la famine en Russie en 1932-1933, et il est resté quand même fidèle au parti. Il y avait des gens comme Panaït Istrati ou Ignazio Silone qui avaient pigé. Pour eux, c’était tout de suite terminé. Koestler était quand même assez superficiel : en 1934, quand Hitler a décapité les SA, il m’a dit : “ Dans un an, on est de retour en Allemagne ! ”
» Il était venu me voir à Meudon Val-Fleuri parce que sa femme, la Dorte (Dorothée), l’avait foutu à la porte. Je ne me souviens plus pourquoi, elle me l’a raconté par la suite, mais j’ai oublié. Koestler était assez chasseur de jupons – je crois que c’était surtout de ça qu’elle se plaignait. Étant sans domicile, comme il était très bien avec moi, il est venu me trouver. À Meudon, j’avais une tente assez grande ; la première fois, il a dormi là. Après, il couchait dans une sorte de grenier au-dessus des écuries. Il me donnait l’impression d’un garçon de très bonne éducation, qui n’avait jamais connu de grandes difficultés, qui n’était jamais passé par deux ou trois années de misère. Koestler était en quête de chaleur humaine : cette façon qu’il avait de m’appeler « György » – dans la tourmente, il cherchait un appui. Dès que ça a cessé d’être le parti, ça a commencé à aller mal.
» Je l’ai revu une fois dans la Sarre, en 1935, où je travaillais pour la Westland, un journal sans parti qui avait comme seul but d’empêcher Hitler de s’emparer du dernier pays de langue allemande qui ne soit pas aux mains des nazis. Je l’ai encore revu en 1946, par hasard, à la gare Montparnasse. J’étais avec ma première femme. Il avait l’air un peu gêné, car, en fin de compte, c’est moi qui avais eu raison. »
[Propos recueillis par Phil Casoar au début des années 1990]