A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Apogée et déclin de la Saint Lundi
Article mis en ligne le 25 décembre 2023

par F.G.


■ C’est par le blog ami « En finir avec ce monde » ]] que nous avons pris connaissance de cette étude de Robert Beck originellement publiée dans le numéro 29, 2004, de la Revue d’histoire du XIXe siècle. Remarquable en tous points, elle nous instruit dans le détail sur l’importance qu’eut en France, durant une grande moitié du XIXe siècle, la Saint Lundi, cette coutume ouvrière de chômer le lundi – dont les ori-gines remontent au Moyen Âge. À la veille de la Révolution française, notait Louis-Sébastien Mercier dans son Tableau de Paris (1781-1788), « tous les ouvriers chôment le lundi. C’est chez eux une vieille et indéracinable habitude ». Il fallait y voir, d’une part, une manière de rétablir un équilibre entre leur temps libre et la durée croissante des jours de travail exigée par leurs patrons et, de l’autre, une claire prédisposition à s’affranchir de leur autorité, à contester les injonctions de l’Église et à s’émanciper des interdits du jour du Seigneur institués par le di-manche chrétien. Ainsi, c’est à la Saint Lundi que la « Sainte Touche », la paye du samedi, se voyait dilapidée dans la joie transgressive de libations à effets parfois prolongés puisqu’il n’était pas rare que le lundi ne suffise pas à étancher l’infini soif de liberté de l’ouvrier.

Dans le cadre de la première industrialisation, cette pratique ouvrière « sauvage » – qui se déve-loppa d’abord dans l’industrie à caractère artisanal – prit un grand essor comme forme de résis-tance à la soumission au travail. Elle changea aussi de caractère en participant, in fine, de la création d’un temps autonome ludiquement politisé qui jouera un grand rôle dans le dévelop-pement d’une conscience de classe présyndicale. C’est évidemment ce basculement d’imaginaire populaire qui inquiéta prioritairement les possédants et leurs porte-voix. Désapprouvée depuis des siècles, la Saint Lundi s’attira en effet les foudres conjointes des dignitaires de la Religion, de la Morale, de la Philanthropie et de l’Économie. Après lui avoir opposé les vertus du labeur, de la famille, de la sobriété et de l’épargne, ceux-ci vont la combattre énergiquement, notamment après la Commune de 1871. Jusqu’à la quasi-disparition de la coutume vers la fin du XIXe siècle. Inutile de préciser, en passant, que ce mouvement d’auto-domestication s’explique aussi par la prévalence, au sein d’une classe ouvrière en formation, des idéologies progressistes qui la re-mettront sur le droit-chemin de la moderne ligne générale de responsabilisation des forces pro-ductives tendant, l’heure de la victoire venue, vers une hypothétique abolition du salariat. Dès lors, aux débordantes Saint Lundi d’antan, les ouvriers choisirent, franchement contraints, le repos du dimanche, jour de famille, de loisirs et même, désormais, d’activités politiques ou syn-dicales.

Bonne lecture !

À contretemps

[Par commodité de lecture, les trop nombreuses notes d’auteur ont été renvoyées en fin de texte.]



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