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A Contretemps, Bulletin bibliographique
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Avant-propos des « Poèmes indésirables »
À contretemps, n° 30, avril 2008
Article mis en ligne le 19 janvier 2009
dernière modification le 4 octobre 2014

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■ Publiés aux Éditions anarchistes, les vingt-huit « poèmes indésirables » retenus par Armand Robin pour figurer dans ce recueil jaillissaient comme autant de cris contre l’imposture politique d’une époque. Libéré de toute retenue, dégagé de toute convenance, leur auteur s’y livrait à une attaque en règle – et d’une rare violence – contre la « canaille littéraire », les « poétereaux de la bourgeoisie » et les « Aragons définitivement aragons ». Écrits pour la plupart en 1944, ces poèmes parodiaient une certaine manière de versifier alors en vogue dans les cénacles du patriotisme « résistancialiste », thématique et facture qui firent beaucoup pour le « déshonneur des poètes » si bien pointé par Benjamin Péret. Un second recueil de « poèmes indésirables » aurait dû paraître, mais Robin – qui fixa assez vite son attention sur d’autres horizons – choisit de ne pas donner suite à cette hargne primitive. Reste que ce recueil fut, en ces temps de grande désolation, une façon de résister au consensus dominant. La Fédération anarchiste lui en donna la possibilité. C’est tout à son honneur. Pour ce qui nous concerne, nous avons souhaité publier le très bel avant-propos de cette plaquette. Tout le Robin de cette époque, en rupture ouverte avec le commerce de la littérature, y est.

AU LIEU DU TITRE DE PROPRIÉTÉ :

« Tous droits de reproduction et de traduction réservés. »

La Pensée et la Poésie sont par nature indésirables. Les mauvais penseurs et les mauvais poètes les ont toujours jugées telles, mais jusqu’à ces temps ils n’avaient pas été si sots que d’aller formuler officiellement ce sentiment.

Évadés du camp de concentration établi en tout pays pour abîmer l’Âme, ces poèmes sont, au nom des idées irréductiblement d’extrême gauche, un don du poète aux peuples martyrisés et en attente d’un plus grand martyre ; en conséquence :

Leur reproduction et leur traduction sont absolument libres pour tous les pays ; aucun droit d’auteur ; ces poèmes tombent dans le domaine public, dès aujourd’hui ; ils ne doivent être utilisés par aucun parti politique existant ou à venir ; étant nés sans patrie pour toutes les patries, ils ne doivent servir aucune cause « nationale », ni aucune cause faussement « internationale » ; ils ne doivent être cités élogieusement par aucun journal, aucune radio, aucune « revue littéraire » ; bref aucun organisme officiellement ou officieusement chargé de tromper ; ils ne doivent être l’objet d’aucune approbation de la part d’aucun « intellectuel », à moins qu’il ne puisse prouver son absolue non-coopération avec toute forme d’oppression présente ou future ; ils doivent faire leur œuvre sans aucun bruit, sans aucune aide et surtout sans aucune propagande, vaincre sans aucune arme d’aucune sorte l’énorme silence qui recouvre en ce moment sur terre la tentative d’assassinat de toutes les consciences ; ils doivent demander toutes leurs ressources au seul amour.

Ces poèmes et ceux qui suivront seront jetés à la mer avec des ressources provenant exclusivement de mon travail. Puis que viennent les plus fortes vagues pour les perdre !

Il s’agit ici d’un cri en mots français ; si je peux rester sans dormir pendant encore quelque dix années, j’espère également pouvoir parler dans la langue de tout pays qu’on aura privé d’expression.

Armand Robin , Noël 1945.


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